Et pourquoi pas une intervention terrestre franco(russo)européenne en Syrie ?
Alors que Vladimir Poutine agit cette fois en Syrie sans vouloir trop le reconnaître, fidèle à son besoin psychologique bien connu, mais surtout pour certaines causes bien identifiées ; à l’heure où la France est essentiellement visée par les attaques islamistes extrémistes, où l’on constate une certaine inefficacité des frappes aériennes étasuniennes et arabes, la Syrie ne serait-elle pas le laboratoire d’une triple solution pour le salut de l’Europe ?
Par François CHARLES
Ancien officier de l’armement, président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe, conseil en stratégie, intelligence économique et management
Dans mes anciens articles « Quelles solutions de sortie de crise en Syrie ? » « et pourquoi pas une force d’intervention arabe en Syrie ? » « Intervention pour l’instant française au Mali » « Syrie : le passer outre de l’ONU cachera l’échec politique de l’Union européenne » « A quels jeux joue donc Bachar El Assad ? » « la faillite de la politique de voisinage de l’UE », je posais déjà certaines réalités et certaines solutions. Depuis, plus que les sanctions économiques, c’est l’Etat islamique, qui ne largue pas de bombes incendiaires ni de gaz mais qui décapite, brûle et crucifie, soit disant au nom de l’Islam, qui met en péril Bachar El Assad, mais également la Russie et toute l’Europe. Mieux vaut-il avoir la peste ou le Califat ?
Dans l’esprit du 11 janvier après celui du 11 septembre, tout en conservant une certaine sagesse, après l’intervention au Mali qui ne fut pas forcément l’échec européen que l’on dit, au-delà du ni-ni et à l’encontre de ceux, plus technocrates et idéalistes qu’hommes de crise qui rejètent toute intervention au sol, ne faudrait-il pas trouver un remède fort plus efficace afin de réduire ce cancer et cette tumeur qui grossit en Orient, que ces frappes qui semblent surtout pour l’instant être un moyen de faire tourner l’industrie d’armement.
Une intervention au sol de troupes professionnelles, avec toujours des appuis aériens, d’où qu’ils viennent, n’est pas forcément risquée car la Syrie n’est pas l’Afghanistan. Elle ne déstabilisera pas la région contrairement aux interventions en Irak et en Libye car on sait mieux cette fois quel sera le coup d’après et qui maintenir dans chaque état, sauf peut-être en Syrie, car les gouvernements existent toujours, en espérant un arrêt des luttes entre sunnites et chiites, comme autrefois en Europe entre catholiques et protestants. Par ailleurs une présence autre que syrienne dans le pays pourra sans doute arrêter les actions de son président pour se défendre contre son peuple. Enfin, les militaires savent bien que si une intervention au sol doit se prémunir d’interventions aériennes, des interventions aériennes seules ne servent à rien pour conquérir un territoire, sauf à servir de coup de semonces ou maintenir la crainte.
Une intervention franco-européenne. La France est quasiment actuellement le seul pays en Europe (voir « la France adoubée nouveau leader responsable du groupe européen de l’OTAN ») à pouvoir monter une intervention militaire ou à la diriger. D’autre part, la Syrie est un ancien pays d’influence française. Si la France, comme aussi autrefois la Hongrie et l’Espagne face à l’Islam, ne défend pas militairement les valeurs de l’Europe chrétienne, prête aussi à accueillir les musulmans, qui le fera ? L’Europe sait réagir dans la crise et la menace au-delà simplement d’accueillir ou de fermer ses frontières dans l’incapacité de séparer le bon grain de l’ivraie et doit savoir en profiter pour se structurer. Comme le disait Machiavel dans Le Prince, « un changement sert toujours de fondement à un autre ». Ne faut-il pas soigner le mal en même temps que la douleur dans le cadre de la sécurité européenne avec un caractère cette fois également religieux, humanitaire mais aussi culturel et surtout avec l’opportunité du soutien de la Russie ? Cherche-t-on à déraciner ou simplement couper le pissenlit ? Il faut savoir aussi parfois utiliser la force du parent normatif, même quand il s’agit de l’Europe, dans une logique de politique extérieure de sécurité, incluant notamment le bassin méditerranéen. Elle se calque sur l’identité initiale de l’Union qui s’est créée pour endiguer les guerres internes bien que ce temps entre nous soit heureusement révolu. Il pourra s’agir d’un nouvel essai de création de l’équipe d’Europe de la défense avec les expertises et les points forts de chacun comme autrefois en 1432 puis en 1450 quand Bertrandon de la Brocquiere puis le Héraut Berry, et comme l’avaient fait César et d’autres, imaginaient l’armée idéale en fonction de la valeur guerrière : « des hommes d’armes à pied et cheval français et allemands, des archers anglais, des Napolitains en armes à cheval, des Hongrois à cheval avec des petits arcs (cavalerie légère…) ». Par contre, et contrairement à ce que réclament certains militaires ou politiques, toutes les nations ne sont pas obligées d’envoyer des hommes sur le terrain, comme lors de l’intervention au Mali, où certaines ont fortement aidé en logistique, même si les petites nations y tiennent et l’ont déjà démontré. Il s’agira enfin de créer un pot commun financier plutôt que des apports respectifs gérés séparément comme à l’Eurocorps.
Une intervention franco-russo-européenne.
Une autre question qui se pose est par où intervenir ? Celle-ci pourrait s’effectuer en passant par la Turquie qui devrait cette fois-ci s’engager d’un seul côté même si on ne peut tout de même pas lui reprocher, comme le font pourtant certains parlementaires, de soigner les blessés de l’Etat islamique ou Daech comme on le dit en France. Elle pourrait se réaliser par la ville de Tartous, qui possède aussi ses ruines templières, en cohabitation avec les Russes qui ont investit le port depuis leur accord de 1971 afin de permettre à leur flotte de trouver les infrastructures nécessaires à sa maintenance et son ravitaillement. On imagine mal Bachar El Assad s’y opposer seul, et avec quoi ni comment, sauf s’il sait que c’est pour ensuite l’expulser. On voit mal V. Poutine s’y opposer également alors qu’il le réclame depuis longtemps, notamment pour protéger cet accès au delà de la défense de certaines valeurs, sauf à exiger la levée des sanctions en Ukraine, également concernée dans le cadre de la sécurité européenne, et sauf à vouloir montrer qu’il est le seul à réellement pouvoir résoudre le problème qui menace aussi son pays et mieux que les Etats-Unis.
Une telle cohabitation serait une expérience unique d’intervention entre la Russie et l’Union européenne. Elle dévoilera sans doute certaines réalités et surtout certaines comparaisons. Il ne s’agira pas pour autant de baisser la garde sur l’Ukraine tout en montrant l’autonomie européenne vis-à-vis des Etats-Unis qui sera appréciée et respectée. Il n’est pas non plus question de faire un pacte franco-russe. Reste à savoir si nos partenaires étasuniens, adeptes de l’article 5 à sens unique, seront capables d’accepter cela sans sortir leur « négociation du carnet de chèque » à la majorité des pays européens qui ne jurent que par les Etats-Unis pour leur défense. Qu’a donc a craindre la France, membre de l’OTAN, qui doit envoyer des avions pour avoir des images alors que les avions étasuniens ont déjà largué des milliers de bombes et missiles, sauf si bien entendu ils l’ont fait sans reconnaissance préalables et guidés su sol, ce qui est encore possible. Mais on sait bien que les étasuniens ne sont pas prêteurs même quand nous décidons de leur acheter des avions de guêt alors que nous avions la capacité de le faire. Il reste à miser sur l’acceptation des pays baltes et du groupe VISEGRAD qui ont vécu des années sombres avec les Russes. Un tel essai de cohabitatiuon pourrait conduire à une baisse sous-jacente potentielle des tensions à l’Est. Un ex-mari peut être moins agressif si on lui laisse faire le deuil en côtoyant son ex-femme, même en présence d’autres, mais sans velléité de reprise. Les militaires entre eux sauront sans doute plus rapidement retrouver certains liens et certains automatismes, notamment linguistiques, sauf à parler anglais ou français comme à l’OTAN…
Le monsieur renard cher à Vladimir Poutine sera-t-il surpris par un chien plus intelligent ?
article format pdf