OTAN 2030 - Contributions de certaines personnalités
OTAN 2030
Au lendemain de la discussion des chefs d’Etats et de gouvernements européens avec le Secrétaire Général de l’OTAN, nous publions le sujet délicat de la transformation de l’OTAN avec ses objectifs et ses réalités à travers certaines contributions de personnalités militaires, se rajoutant aux nombreux articles déjà écrits au sein de l’I.R.C.E par son Président sur le sujet ainsi qu'aux événements déjà organisés et en devenir sur l'OTAN. Des travaux de synergie européenne et non uniquement française vont également reprendre sur la question. Ci-après également le lien sur le site de l'OTAN pour le même sujet.
N'engagent que leurs auteurs
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Merci à :
Général d’Armée Aérienne (2S) Denis Mercier, Commandant suprême allié pour la transformation de l’OTAN (2015-2018), Chef d’état-major de l’armée de l’air (2012-2015) - Membre d'honneur I.R.C.E 2018
Ingénieur Général Hors Classe (2S) Jean-Luc VOLPI, Ancien Directeur central du Service des Essences des Armées, Membre d'honneur I.R.C.E 2018
Ingénieur général de l’armement (2S) Olivier Gras – Ancien responsable d'affaires industrielles à la DGA, Conseiller Spécial défense I.R.C.E
CV (2S) Christian MATTON, conseiller naval
Col (ret et res) Bruno CAYZAC
Officier supérieur britannique en activité
François CHARLES, Comm. des armées (ret), Ancien responsable d'affaires industrielles à la DGA, Président de l' I.R.C.E.
Autres contribution à venir
OTAN 2030 : quels défis ?
Le 21ème siècle est un siècle de ruptures. Dans un monde de plus en plus complexe dans lequel l’incertitude prévaut, la capacité à anticiper les crises s’estompe devant la surprise. Dans cet environnement, la construction de la résilience devient indispensable afin de pouvoir se remettre des ruptures qui nous attendent. La crise du Covid en est une parfaite illustration. Si la possibilité d’une pandémie était bien dans les scénarios de crise, nul n’aurait pu prédire sa soudaineté et son ampleur.
Les crises potentielles s’étendent dans de nombreux champs, qu’ils soient humain, technologique, environnemental, économique ou politique. Ce sont les champs qui guident la réflexion sur les principaux défis auxquels est confronté le monde, à l’OTAN ou dans l’Union européenne.
Dans un tel environnement, il est aisé de critiquer telle ou telle organisation pour son impréparation ou son inefficacité. Ces critiques se concentrent d’ailleurs facilement sur les organisations internationales au premier rang desquelles, dans l’espace Euroatlantique, l’OTAN. Mais, s’il est vrai que l’Alliance atlantique doive se réinventer et s’adapter pour faire face aux crises du 21ème siècle, c’est aussi le cas des autres organisations et des Nations elles-mêmes. Alors que la résilience se construit dans les partenariats, ce qui devrait donner encore plus de sens aux organisations internationales, les attaquer ne fait que les affaiblir toutes.
L’histoire de l’OTAN peut se découper en quatre périodes : une première période allant de sa création, en 1949, à la fin de la guerre froide symbolisée par la chute du mur de Berlin où sa tâche principale était la défense collective, fondée notamment sur l’article 5 qui stipule qu’une attaque contre un Allié est une attaque contre tous ; une deuxième période s’étendant de la chute du mur de Berlin à l’attaque terroriste des Twin Towers à New York où l’OTAN s’est ouverte et a développé de nombreux partenariats, en vertu de sa deuxième tâche, la coopération en matière de sécurité ; et une troisième période qui débute avec l’attentat du 09 septembre 2011 et termine en 2014, avec la crise de Crimée. Dans cette troisième période, la gestion de crise a été la tâche principale de l’OTAN avec notamment la mission d’assistance en Afghanistan qui a probablement conduit l’Alliance à trop négliger la préparation à la défense collective.
2014 a marqué un tournant. La Russie en violant le droit international, a montré qu’elle n’était plus un partenaire fiable, et l’OTAN a redécouvert que les menaces étaient à ses frontières, à l’est mais aussi au sud avec de nombreux défis liés notamment à l’expansion du terrorisme islamiste. Cette prise de conscience débutée au sommet de Newport en 2014 a étayé le besoin d’une adaptation forte de l’Alliance au sommet de Varsovie en 2016. Outre de nombreuses mesures portant sur la « défense et la dissuasion » et le flanc sud, l’Alliance s’est de nouveau concentré sur la réactivité et les menaces multiples à ses frontières ne tolérant pas de préavis. Ce fut aussi la prise de conscience de la nécessité de mettre en œuvre en même temps les trois tâches principales, défense collective, coopération en matière de sécurité et gestion des crises, demandant aux Alliés un effort significatif sur leur engagement à fournir les capacités nécessaires pour couvrir ce large spectre.
Bien que le concept stratégique de 2010 n’ait pas été réouvert, l’OTAN a alors admis que les hypothèses qui l’ont fondé sont pour la plupart obsolètes. Plusieurs crises ont suivi, y compris entre Alliés, conduisant l’OTAN à se poser la question de son orientation. Le document OTAN 2030 est une première réponse. Il fait un état des lieux des défis à relever, qui servira de socle pour repenser la stratégie de l’Alliance et, probablement, l’écriture d’un nouveau concept stratégique.
La lecture de ce document est aisée et les défis à surmonter y sont clairement détaillés et assortis de recommandations.
Ils forment cependant une liste d’enjeux non structurée qui devra ensuite être travaillée sous un angle plus politique et militaire et ce seront les priorités que l’Alliance définira pour 2030 qui montreront réellement son aptitude à se transformer.
Quels sont ces principaux défis ?
L’Alliance atlantique est une organisation régionale puisqu’elle couvre l’espace euroatlantique. Cependant la nature multiforme et la variété des menaces mettant en jeu acteurs étatiques ou non-étatiques ne permettent plus de limiter l’action de l’OTAN à sa frontière est avec la Russie, sud avec la Méditerranée et ouest avec la côte est des Etats-Unis. L’ouverture de nouvelles voies maritimes dans le grand nord et ses enjeux en matière de liberté de mouvement et de ressources ne peut être ignorée de l’OTAN. L’arc terroriste n’est pas limité au Sahel et au Moyen-Orient et ses tentacules s’étendent bien au-delà, ce qui a d’ailleurs justifié l’intervention des Alliés en Afghanistan.
La question de la Chine est prégnante pour la sécurité de l’espace euroatlantique sous de nombreux angles et, vu du pôle nord, les trajectoires et la portée des missiles balistiques de la Corée du nord menacent aussi bien la zone euroatlantique que toutes les régions du monde. Limiter la géographie d’analyse des crises à celle du strict espace euatlantique conduirait à ignorer des menaces qui deviennent structurantes pour la sécurité des Alliés. Et, si l’Union européenne connaît exactement les mêmes défis, elle ne permet pas de les débattre avec les Américains, Canadiens, Norvégiens ou Turcs pour ne citer que ces pays. Il ne faut alors pas s’étonner que le document OTAN 2030 aborde par exemple la question de la Chine.
Par ailleurs, au-delà de ces considérations géographiques, les nouveaux champs d’affrontement ne connaissent pas de frontières et ne peuvent être ignorés non plus. Il s’agit du cyber-espace, de l’espace exo-atmosphérique, deux domaines nouveaux d’affrontement reconnus par l’Alliance et celui de l’information ou même de l’influence qui, s’il n’est pas encore considéré comme tel, est également un champ de crise permanent qui doit être étudié. Ces domaines ont des caractéristiques différentes mais présentent un point commun : la nécessité de consultation avec tous les Alliés, mais aussi de développer une forte réactivité dans le domaine politique.
L’OTAN a par ailleurs toujours été un creuset d’interopérabilité qui n’est pas limité aux seuls Alliés, les normes et standards développés par l’Alliance étant aussi appliqués par l’Union Européenne et tous les pays partenaires, jusqu’en Asie. Cependant, les nouvelles capacités militaires, reposant de plus en plus sur des systèmes numériques connectés, apportent de nouveaux défis d’interopérabilité. Bien que complexe, l’interopérabilité technique ou humaine reste accessible par les processus en place, mais le besoin de mobilité et de partage des données et le développement de capacités faisant appel à l’intelligence artificielle et aux systèmes autonomes, demande un débat politique qui n’existe pas à ce jour. Cette question de l’innovation est au cœur de OTAN 2030 et est cruciale pour que l’Alliance continue à construire, sur la base des capacités militaires des trente pays qui la composent, une force cohérente et crédible, capable de répondre aux multiples défis qui l’attendent. Et bien sûr, cette construction doit être cohérente des pays et organisations partenaires au premier rang desquelles l’Union Européenne.
D’autres sujets sont abordés par le document OTAN 2030 comme les questions de pandémie et d’environnement, de place des femmes et de protection des civils. La dissuasion nucléaire qui, depuis le sommet de Varsovie, est revenue au centre des débats, est également un défi à relever pour que les Alliés parlent d’une seule voix dans les négociations sur les traités de désarmement et s’accordent sur son emploi.
Assez logiquement, ces nombreux défis et les récentes crises entre certains alliés qui ont secoué la cohésion de l’organisation, amènent l’OTAN à renforcer son processus de concertation politique. Ce renforcement est très clairement une priorité affichée dans le document. De nombreuses menaces telles que les missiles balistiques, le domaine cyber, la désinformation, demandent consultation et forte réactivité, deux positions antagonistes. La concertation politique n’étant pas possible dans la plupart des cas au moment où arrivera la menace, elle doit anticiper le cadre opérationnel qui guidera l’action des autorités militaires pour leur permettre de réagir au plus vite dans le respect de la délégation qui leur est confiée.
Les discussions sur le sujet achoppent souvent en raison de positions trop génériques et théoriques, parfois idéologiques et elles sont peu étayées par des exemples concrets. Les exercices « CMX » ont pour vocation d’entraîner le niveau politique à ces situations mais ils manquent encore de réalisme et sont trop peu nombreux. La formation à tous les sujets mentionnés, y compris aux enjeux dus à l’utilisation des nouvelles technologies est un préalable essentiel à la prise en compte par les trente Alliés des nouveaux défis et à la recherche de solutions politiques qui encadrent l’action militaire mais sans entraver la nécessaire réactivité.
C’est là que réside le cœur de la transformation de l’Alliance et le fondement de son futur concept stratégique. L’OTAN offre cette possibilité de ce débat entre Européens, mais aussi avec le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Turquie et tous les pays non membres de l’Union européenne mais qui sont étroitement associés à ces questions de sécurité.
Le risque est de voir les deux organisations aborder ces sujets à des tempos différents et les Nations d’y apporter des réponses différentes selon l’organisation comme cela s’est déjà vu. OTAN 2030 insiste donc logiquement sur la nécessité de continuer à renforcer le dialogue avec l’Union Européenne. C’est indispensable et les Européens auraient à gagner à les aborder dans cette organisation avec l’optique d’y construire une position commune à porter dans l’OTAN. Ce serait la base d’une véritable cohérence dans une approche multilatérale globale qui est la seule capable de construire la résilience nécessaire pour faire face à la complexité du 21ème siècle.
Général (2S) Denis Mercier
Commandant suprême allié pour la transformation de l’OTAN (2015-2018)
Chef d’état-major de l’armée de l’air (2012-2015)
Ne pas sombrer dans la « mort cérébrale » en 2030…
L’OTAN en 2030 ? Soit une décennie de plus seulement alors qu’il s’en est écoulé trois depuis la fin de la guerre froide au cours desquelles certains s’interrogeaient sur sa légitimité dans une évolution géopolitique où la diversité des menaces a succédé à l’unique menace, motivation de sa fondation. Le scénario d’une Union européenne pouvant se défendre elle-même restant très éloigné, l’Alliance conservera encore sa légitimité, même si elle apparaît un peu abimée. Et les causes ne manquent pas.
La diversité des menaces justement, est un facteur de fragmentation de la cohésion des Etats membres par les divergences manifestes de la perception qu’ils en ont selon leur histoire, leur situation géographique, leur exposition aux flux migratoires… Dans ce domaine, l’impuissance de l’OTAN s’est particulièrement révélée lors de la crise opposant la Grèce à la Turquie qui partagent leur appartenance à l’Alliance. Le consensus sur lequel repose son mode de décision, déjà mis à mal par la diversité de la perception des menaces, s’est ainsi complexifié.
Le partage du fardeau, cible régulière des Etats-Unis, est loin d’être acquis. La crise sanitaire ayant affecté durablement la situation financière d’une majorité d’Etats européens (les cibles), une décennie ne sera sans doute pas suffisante pour espérer voir se réaliser l’objectif des 2 % du PIB à consacrer aux dépenses militaires sur lequel se sont engagés les Etats membres au sommet de Newport au Pays de Galles il y a déjà plus de six ans ! Certes, la réduction du PIB sous l’effet de la crise permettra peut-être à beaucoup de s’en approcher, voire de l’atteindre, sous réserve qu’ils ne remettent pas en cause le niveau actuel de dépenses consenties. Mais cet artifice mécanique ne résoudra jamais le problème des absences capacitaires actuels. Pendant ce temps, les menaces continuent de se tendre.
Enfin, pour les USA préoccupés par leur challenge dans la zone Pacifique face à la Chine, l’Europe est passée au second plan dans leurs priorités politiques. Il n’y a pas pour autant, de crainte à avoir sur un éventuel désengagement de leur part. Leur présence en Europe qui financièrement doit peser à peine 5 % de leur inégalable budget consacré à la défense, permet de maintenir l’asservissement de l’Europe à bon compte et reste un excellent soutien dans leurs échanges commerciaux avec l’UE même si la balance leur est défavorable contrairement à la Chine. Mais il n’est pas dans leur intérêt de laisser davantage le champ libre à cette dernière sur ce marché convoité par beaucoup.
Quand on sait le rythme lent qu’exige le consensus d’un cercle de nations aussi large, une décennie ne sera pas de trop pour panser ces premières lésions et tenter de retrouver un peu de convergence parmi les Etats membres dans l’appréhension des menaces. Actuellement, l’OTAN semble orientée sur celles de l’Est, du Sud et relevant des domaines cyber et de l’espace. Les deux dernières apparaissent si évidentes qu’elles recueillent aisément un large consensus. Elles ne sont finalement que le prolongement soit des premières (au moins celles de l’Est pour ce qui est de l’espace), soit des potentielles velléités d’un autre Etat-puissance, la Chine. La menace que peut représenter cette dernière semble moins prégnante dans les défis que compte relever l’OTAN. Il est vrai qu’en dehors de quelques démonstrations de force sur son pourtour géographique immédiat, la Chine ne conduit pas de guerre. Ses conquêtes commerciales sont plus douces en apparence en dépit de premiers déploiements de bases militaires comme à Djibouti visant à protéger la route de la soie qu’elle propose. La position prudente de l’OTAN face à cette menace qu’elle n’ose qualifier s’explique aussi par le niveau de dépendance commerciale d’un bon nombre d’Etats membres, doublée pour certains, d’une dépendance financière. Et pour les Américains, la lutte commerciale avec la Chine est sans doute « une affaire trop sérieuse pour y impliquer l’OTAN ». Il n’en demeure pas moins qu’outre la dépendance dans laquelle s’est placée l’Union européenne vis-à-vis de la Chine, cette dernière menace aussi ses intérêts en détournant des ressources stratégiques à son profit. Elle est déjà très présente sur le continent africain dans ce but et poursuit sa stratégie en s’intéressant à présent à une nouvelle route de la soie plus polaire celle-là, car passant par l’Arctique, un nouveau lieu de confrontation possible entre puissances pour la conquête des ressources énergétiques que rescellerait cette région.
Bien que moins perceptible que la menace sur notre flanc Est parce que moins belliqueuse en affichage, la menace chinoise fait pourtant peser davantage de risques sur les intérêts des pays membres de l’OTAN à long terme, dont celui de la voir s’associer à la « menace Est ». Il est regrettable en effet, de voir la Russie se tourner de plus en plus vers la Chine, y compris en Arctique où les Etats-Unis préfèrent d’ailleurs, l’échange bilatéral avec le Danemark (cf. discussions sur le Groenland en 2020) à l’action collective sous l’égide de l’OTAN. Concernant la Russie, on ne peut guère s’étonner de cette situation aujourd’hui. Restant sourds aux recommandations de George F. Kennan, grand artisan de la stratégie ayant conduit à l’effondrement de l’URSS mais disant de cette victoire : « Nous devons en tirer les conséquences. Nous ne pouvons continuer de traiter nos ennemis d’hier comme s’ils devaient rester des ennemis pour toujours. », nous n’avons pas cessé de l’humilier et restons figés sur cette posture comme en témoigne encore la récente affaire du gazoduc North Stream 2. Une stratégie plutôt voulue à vrai dire par les Etats-Unis, l’OTAN ayant servi de marche pied à cette politique en intégrant plusieurs de ses anciens satellites et de ses anciennes républiques au sein de l’Alliance. La reprise d’un dialogue avec la Russie est dans notre intérêt parce qu’elle est exposée comme l’Union européenne à cette menace du Sud porteuse d’une confrontation civilisationnelle et parce que nous ne devons pas nous priver d’une telle relation face aux enjeux énergétiques (la fin des énergies carbonées n’est certainement pas pour tout de suite malgré une promotion offensive des énergies renouvelables !). Mais cela passe d’abord par une réflexion interne qui prendra du temps pour convaincre nos partenaires les plus à l’Est que le jeu des provocations russes à leurs frontières se limite à quelques mesquineries de voisinage en réaction aux humiliations précitées. Il s’agit aussi que notre grand allié, les Etats-Unis acceptent d’évoluer dans leur approche sur ce point malgré leur perception aussi, d’une Russie comme un fournisseur grand concurrent sur un marché énergétique dont ils (les USA) ont repris la première place des pays producteurs depuis leurs découvertes des gaz de schiste. Pour les moins convaincus, rappelons que nous avons su faire la guerre à côté de la Russie au Levant sans déplorer d’incident entre nos forces respectives, et que durant la guerre froide, nos importations de gaz russe n’ont jamais été interrompues.
En attendant, le jeu de puissances se durci et les défis internationaux continuent de s’étendre. La Chine va émerger plus forte de la crise sanitaire (seul pays à ne pas être entré en récession en 2020) et sera en mesure de tenir ses objectifs capacitaires en matière de défense alors qu’elle constitue déjà une menace dans les domaines cyber et spatial, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leur marche vers l’acquisition d’un arsenal nucléaire… Une revue des priorités stratégiques s’impose à L’OTAN parallèlement à un dialogue interne pour continuer d’avancer vers une relation plus équilibrée avec les Etats-Unis et tendre vers des approches mieux partagées entre Etats européens. Ce travail de redynamisation s’impose pour éviter à l’OTAN l’« état de mort cérébrale » et maintenir ce à quoi sont attachés nos alliés européens et au premier rang desquels, l’Allemagne qui par la voix de sa ministre de la défense déclarait que « sans les capacités nucléaires et conventionnelles de l’Amérique, l’Allemagne et l’Europe ne peuvent se protéger. » Notons toutefois qu’elle nomme les choses : l’Amérique plutôt que l’OTAN, l’Allemagne ET l’Europe. De notre côté, nous en avons pris acte et le travail est lancé si on en croit notre ministre des armées déclarant récemment aux parlementaires que l’OTAN « reste la pierre angulaire de notre sécurité collective et a engagé une réflexion approfondie pour renforcer sa cohésion en interne et s’adapter aux nouveaux défis de la sécurité. »
Ingénieur Général Hors Classe (2S) Jean-Luc VOLPI
Ancien Directeur central du Service des Essences des Armées - Membre d'honneur I.R.C.E 2018
OTAN 2030
L’avenir de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) suscite de nombreuses interrogations. A l’instigation des chefs d’Etat et de gouvernement visant à renforcer la dimension politique de l’Alliance atlantique, le secrétaire général de l’OTAN a réuni un groupe de réflexion qui a rendu son rapport le 25 novembre 2020. Ses conclusions seront matière à réflexion pour les prochaines réunions ministérielles et les sommets de l’OTAN.
Le ministère des Armées vient d’actualiser sa vision stratégique publiée ce mois-ci. Ce document souligne que l’OTAN reste le fondement de la défense collective du continent européen et du lien transatlantique. Fait nouveau, sans doute lié à l’entrée en vigueur le 22 janvier 2021 du traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), ce document stratégique précise que l’OTAN reste également le fondement de la culture nucléaire des Européens.
Je me bornerai dans cette note à formuler quelques enjeux auxquels il me semble opportun de faire face.
L’OTAN a été fondée en 1949 sur la conjonction de la perception de la menace soviétique à la fois par les pays de l’Europe occidentale et par les Etats-Unis. C’est une Alliance à caractère politique, visant à promouvoir la démocratie selon les termes de l’article 2 du traité de l’Atlantique Nord. C’est également une Alliance à caractère militaire instaurant une défense collective entre ses membres, selon les termes de l’article 3, invitant les membres à maintenir et développer leurs capacités individuelles et collectives à résister à une attaque armée, et de l’article 5, précisant que toute attaque contre l’un de ses membres sera considérée comme une attaque contre tous ses membres.
La mission de l’OTAN est précisée dans le concept stratégique. L’actuel, qui date de 2010, identifie trois tâches fondamentales :
- La défense collective, fondement de l’OTAN ; elle est étendue pour contrer toute menace d’agression et tout défi sécuritaire émergent qui compromettrait la sécurité fondamentale d’un ou plusieurs alliés de l’alliance voire de l’Alliance toute entière,
- La gestion de crise, en mettant en œuvre les capacités politiques et militaires de l’OTAN pour agir sur la gamme complète des crises, que ce soit avant, pendant ou après un conflit, qui seraient susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’Alliance et pour aider à conforter la stabilité dans des situations post conflit lorsque cela contribue à la sécurité euro-atlantique,
- La sécurité coopérative, où l’Alliance subit, mais peut aussi infléchir, les développements politiques et sécuritaires intervenant au-delà de ses frontières. L’Alliance s’emploiera activement à renforcer la sécurité internationale, en engageant un partenariat avec les pays et les organisations internationales appropriées, et en maintenant sa porte ouverte à l’adhésion de toutes les démocraties européennes qui répondent aux normes de l’OTAN.
L’OTAN, initialement alliance politico-militaire à caractère régional, est devenue au fil du temps, une alliance à portée mondiale, en justifiant la défense de ses membres par la conduite d’opérations politico-militaires de par le monde pour lutter contre leurs ennemis, là où ils se trouvent. La défense contre la menace soviétique, fondement initial, a été remplacée par la défense contre toute menace affectant la sécurité d’un ou plusieurs alliés, voire de l’Alliance.
Les décisions sont prises à l’unanimité. Dans cette prise de décision, les Etats-Unis de par leur prééminence ont un effet d’entrainement certain sur les autres alliés.
Depuis son lancement, l’OTAN est devenue un cadre militaire fédérateur attractif, d’une efficacité certaine, L’OTAN encadre les planifications de défense des alliés. Elle a mis en place un important ensemble de procédures assurant l’interopérabilité des forces des alliés, tant au plan procédural qu’au plan matériel. Elle dispose de moyens communs indispensables pour mener des opérations militaires et essentiels pour assurer la surveillance de l’espace aérien de l’Europe. Elle offre une panoplie d’outils à la carte pour mener des coopérations d’armement dans le cadre d’agences dédiées. Elle incite à l’adaptation des forces et des équipements face aux nouvelles menaces, comme dans le cyberespace.
L’OTAN reste le cadre de référence pour la définition des conditions d’interopérabilité, y compris des équipements qui ne sont pas développés sous son égide.
Le partage du fardeau financier entre les Alliés peut être interprété de plusieurs façons :
- Les Etats-Unis se plaignent régulièrement du partage inéquitable du coût ; il convient de constater que ces doléances ne vont pas au-delà de déclarations verbales sans mesures de rétorsion comme on peut l’observer dans les différents commerciaux.
- La modicité, relative, de la contribution des Etats européens, est un moyen qui contribue à les inciter à rester au sein de l’OTAN. Les Etats européens espèrent pouvoir ainsi bénéficier des moyens militaires américains en cas de nécessité sans avoir à en payer le coût qu’ils devraient eux-mêmes assumer s’ils en étaient les détenteurs.
- Inversement, cette modicité renforce l’impression que les Etats-Unis ont des Européens, celle de « junior partners », à traiter comme tels tout en respectant leurs susceptibilités nationales.
C’est dans ce contexte, que la relation entre l’OTAN et l’UE mérite d’être évoquée.
L’UE est sans équivalent dans le monde. D’un côté, l’Union européenne peut être assimilée à une fédération d’Etats européens, particulièrement en matière commerciale où la Commission, qui a le monopole des relations internationales en la matière, discute d’égal à égal avec le département américain du commerce. De l’autre c’est une construction fragmentaire, particulièrement en matière de défense où la souveraineté reste portée par les Etats membres.
En matière de sécurité, l’UE a repris dans l’article 42, alinéa 7, du traité de l’Union européenne, la clause de défense collective de l’article 5 de l’ex traité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO)[1]. Si les deux organisations travaillent de concert dans nombre d’opérations, l’OTAN demeure le fondement de la défense collective pour les Etats membres de l’UE qui sont également membres de l’OTAN.
Les citoyens des pays membres de l’Union européennes ont une perception disparate de leur communauté de destin. L’histoire a laissé des traces profondes, toujours vivantes, dans nos peuples européens. A cet égard, le souvenir de l’action décisive des Etats-Unis dans le déroulement et la conclusion de la seconde guerre mondiale, leur attirance comme phare de la démocratie et de l’action entrepreneuriale, la présence de diasporas européennes encore identifiables dans la population américaine, fondent le recours de nombre de pays européens aux Etats-Unis pour assurer leur défense.
La solidité d’une alliance repose sur la conjonction des intérêts des pays qui la composent. S’il est évident que pour nombre de pays européens, il ne peut y avoir de défense sans la présence des Etats-Unis, il convient de s’interroger sur l’intérêt des Etats-Unis à rester partie prenante d’une alliance qui les engage.
Pour les Etats-Unis, l’Alliance peut être perçue comme :
- Un moyen d’assurer leur accès au marché européen, qu’ils ont incité à se constituer dans la ligne du plan Marshall ; en cela c’est la grande tradition américaine qui a toujours allié action militaire et ouverture du marché aux produits américains, comme le Commodore Perry l’a fait en 1853 en forçant les Japonais à ouvrir leur marché sous la menace de ses canons,
- Un moyen de contrôler les dissensions entre pays européens, pour éviter qu’elles ne dégénèrent en guerres, à l’instar des deux guerres mondiales ; plus généralement, c’est un outil leur permettant d’influer sur les relations entre pays européens,
- Un moyen d’associer les pays membres de l’OTAN, essentiellement européens, à leurs actions politiques ou militaires pour promouvoir leurs intérêts de par le monde ; à cet égard, le regain envers l’action multilatérale annoncé par la nouvelle présidence américaine visera t’il à rallier les alliés de l’OTAN à une action à l’égard de la Chine ?
Les premiers gestes de la présidence Biden augurent d’un regain d’intérêt pour l’action multilatérale et témoignent d’une considération certaine pour l’OTAN. Il conviendra que les Européens fassent preuve du sérieux de leurs engagements, qui doivent être conséquents, pour peser politiquement dans les orientations futures de l’OTAN.
L’OTAN et l’UE sont complémentaires.
Singulièrement, l’entrée en vigueur du TIAN que trois Etats membres de l’UE ont ratifié, l’Autriche, l’Irlande et Malte, interdit de ce fait tout débat potentiel sur l’arme nucléaire dans son cadre. Un tel débat ne peut maintenant être possible que dans un ensemble ad ’hoc entre Etats membres de l’EU qui le souhaitent, voire avec des Etats non membres de l’UE, comme l’Initiative Européenne d’Intervention. La nature politique de l’OTAN, alliance nucléaire, s’en trouve renforcée.
Les forces européennes de l’OTAN sont essentiellement celles que les Etats européens mettent à sa disposition. Ce sont également les mêmes qui sont mises à la disposition de l’EU dans ses opérations militaires.
Il est indéniable qu’un rééquilibrage des dépenses aboutissant à un partage sensiblement égal entre les Américains et les Européens crédibiliserait les orientations politiques défendues par les Européens dont particulièrement l’autonomie stratégique que l’Union européenne ambitionne d’affirmer. Encore faut ’il que les Européens s’entendent sur la finalité et les moyens à y consacrer sur cette question.
La conjonction d’intérêts qui fonde une alliance peut également se renforcer entre les Etats-Unis et la France, et par voie de conséquence l’Union européenne, dans la zone Indo/Pacifique, qui est maintenant le premier marché mondial et où la France détient un immense domaine maritime, face aux agissements de la Chine.
Tout ceci incite à renforcer la nature politique de l’OTAN en élargissant sa zone géographique de protection à la région Indo/Pacifique. L’OTAN accueillerait les pays de cette région qui partagent ses valeurs, y compris sa culture nucléaire, et qui souhaitent rejoindre l’Alliance.
Il est vraisemblable que 2021 verra le lancement de la révision du concept stratégique de l’OTAN pour préciser en termes stratégiques les orientations que les chefs d’Etat et de gouvernement lui donneront.
Ingénieur général de l’armement (2S) Olivier Gras
Ancien responsable d’affaires industrielles à la DGA, Conseiller Spécial défense I.R.C.E
[1] La rédaction de cet alinéa 7, « aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir » ne mentionne plus explicitement le recours à la force précisé dans l’article 5 du traité de l’ex UEO : « aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres »
Sur un plan strictement militaire, les choses fonctionnent : l'OTAN est un outil robuste qui permet de planifier, de standardiser et d'interopérer. Mais cela ne doit pas cacher l'essentiel : il y a un doute sérieux sur la garantie de sécurité américaine et, partant, sur l'article 5 du traité ; il y a aussi un questionnement profond sur la solidarité alliée, quand les Turcs attaquent ceux qui luttent contre Daech ; il y a enfin, vous l'avez dit, une insuffisance criante des efforts de défense des Européens, qui pourtant devraient constituer leur propre pilier au sein de l'Alliance.
On ne peut pas se satisfaire de cette situation. La volonté du Président de la République est d'alerter, à la veille du sommet de Londres : l'OTAN est la pierre angulaire de la sécurité et de la défense européennes, mais elle doit s'adapter, en profondeur. Le chef de l'État s'en est entretenu avec le Président des États-Unis, avec lequel des convergences existent ; ils sont convenus de se revoir avant le sommet de Londres.
Qu'il faille une refondation de la défense européenne, donc de l'Alliance atlantique, face à de nouvelles menaces, dans un monde qui a bien changé depuis la guerre froide, cela est certain. Les événements récents au Moyen-Orient, l'attitude agressive de la Turquie, membre de l'OTAN, les menaces de désengagement des États-Unis et les revirements intempestifs du Président Trump sont la marque d'une crise profonde.
Pour autant, le coup de gueule du Président de la République, justifié à bien des égards, suscite inquiétudes et interrogations chez nos partenaires européens de l'OTAN – Allemagne, Royaume-Uni et anciens pays du bloc communiste, tout particulièrement les pays baltes – et jusqu'à la Commission européenne.
Les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance atlantique se réuniront mardi et mercredi par visioconférence pour la première fois depuis la victoire annoncée de Joe Biden à la présidentielle américaine. Mais c’est bien Mike Pompeo, le diplomate en chef de Donald Trump, qui y représentera les États-Unis. La fin d’une époque ? Il y a un an, Emmanuel Macron, dans une interview qui avait fait couler beaucoup d’encre, avait évoqué une Otan en état de "mort cérébrale".
Le débat qui s’était ensuivi avait déclenché la création d’un comité de sages chargé de réfléchir à l’avenir de l’Alliance. Ce groupe incluait l’ancien ministre français Hubert Védrine, qui sera reçu lundi par Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, le chef du Quai d’Orsay. Selon nos informations, le rapport de 70 pages qu’il leur remettra inclut 138 recommandations destinées à redonner davantage de "cohérence" et de "cohésion" à l’Otan. Cohérence "stratégique" pour réadapter l’Alliance aux nouveaux défis posés par la Russie, la Chine et la concurrence technologique mondiale, et une cohésion "politique" pour mieux ressouder les liens entre membres, une allusion à peine voilée à la Turquie.
S’agissant de la question turque, selon le rapport du comité, ces deux points ont généré des doutes au sein de l’organisation, à charge pour les États de veiller à les dissiper. Le texte des sages propose donc un "code de bonne conduite" qui permettrait de redéfinir les "valeurs communes" de l’Alliance, de régler "les différends" en son sein par un dialogue préventif. Pour la France, ce serait donc l’occasion de remettre à plat la question turque de façon apaisée, qu’il s’agisse des interventions militaires d’Ankara en Syrie, en Irak ou en Méditerranée orientale. Mais rien ne pourra se faire dans l’efficacité sans un partenaire américain plus fiable. "Les frictions transatlantiques ne vont pas s’estomper sous la présidence de Joe Biden, écrit Jeremy Shapiro, un ancien de l’équipe de Hillary Clinton, chercheur à l’European Council on Foreign Relations (ECFR), et les Européens vont continuer à s’inquiéter d’une Amérique qui continue de pivoter davantage vers l’Asie, mais ils ne pourront plus douter de la véritable nature de l’Alliance, comme Trump les y a incités." La prochaine visite de Joe Biden à Bruxelles, programmée pour les premiers mois de son mandat, devrait servir de feu vert à ce vaste chantier.
Sa raison d’être : une alliance de défense et de solidarité collective
Peut-on dire, comme il y a dix ans, que l’OTAN se cherche encore, elle qui a déjà vécu des ajustements stratégiques importants suite à la fin de la guerre froide puis à l’événement rupture que fut le terrorisme du 11 septembre 2001 et le retour de la France dans le commandement intégré ? Dans tous les cas, elle est restée ce que les États membres ont toujours souhaité qu’elle soit en premier : une alliance de défense et de solidarité collective en cas d’agression.
Un outil de normalisation
Mais l’assurance vie n’empêche pas cette organisation bureaucratique et comitologique d’édifier (avec l’aide et autres suggestions de certaines capitales) de nouveaux concepts. Elle peut ainsi introduit ainsi une doctrine d’engagement, une lecture révisée des risques et des menaces face aux conflits asymétriques, aux guerres hybrides et aux enjeux du cyber, comme des argumentaires dans le champ capacitaire ou des missions hors zone. L’OTAN reste ainsi un outil de normalisation (Stanags, certification), mais aussi doctrinale et procédurale1, un réservoir de forces, un facilitateur de coalitions, une alliance de réassurance, un cadre d’élargissement.
Un flirt avec les compétences civiles et civilo-militaires
Tout s’est aussi complexifié cependant. L’OTAN flirte aujourd’hui avec les compétences civiles et civilo-militaires de l’Union européenne et sa Politique de sécurité et défense, sa stratégie globale. Elle n’a pas assimilé l’Ukraine et la Géorgie au risque d’un « pont trop loin » face à une Russie quelque « peu remontée » devant l’avancée vers l’Est des « Occidentaux », mais elle a déjà engagé de la coopération politico-militaire en réponse à la guerre du Donbass et de l’annexion de la Crimée. Elle n’a pas encore pu dépasser en automatique les divergences politiques et culturelles entre États membres autour de l’usage de la force et s’interroge grandement aujourd’hui sur la politique de l’administration Trump qui déstabilise les Européens à propos de l’avenir de l’organisation transatlantique qui fête en avril prochain ces 70 ans.
Le maître mot du partage des coûts et des risques
Si les Européens ont toujours « voulu de l’OTAN » pour maintenir les liens avec les Américains (couplage dissuasif), les maîtres-mots finaux restent les questions du « partage des coûts et du fardeau » et du « partage des risques » : en d’autres termes « la doctrine de responsabilité » des Européens déjà souhaitée par Obama. Malgré les déclarations renouvelées et les 74 domaines de coopération impliquant la complémentarité3 entre l’OTAN et l’UE, les tensions sont palpables et les « jeux comparatifs » entre États producteurs et États consommateurs de sécurité restent bel et bien présents. Raphaël Cottain a même imaginé ce que pourrait être d’éventuelles sanctions à l’égard des « resquilleurs » : restrictions dans les postes au sein de l’OTAN, expulsion de l’Alliance, exclusion du processus de décision, …
Des questions posées sur l’avenir de l’OTAN
L’OTAN navigue-t-elle vue en dépendance des événements et par réactivité ? Joue-t-elle dans le préventif et la proactivité ? On perçoit combien les réponses ne peuvent être qu’attachées à des scénarios et situations à chaque fois spécifiques. Peut-on estimer que les tensions avec la Russie dans cette « paix froide » – à ne pas confondre avec la guerre froide d’avant 1989 – ont créé une dynamique de nouvelle définition d’un « ennemi » (au pire) ou d’un défi (au mieux) ? Comment analyser la politique américaine sur l’avenir du nucléaire en Europe et la dimension anti-missile ?
Le retrait américain n’est-il qu’apparence
Comment apprécier le discours politique critique vis-à-vis des Européens et l’idée d’un possible « retrait américain » d’un côté, et la politique de réassurance concrète engagée par les Américains de l’autre. Avec force manœuvres militaires à l’Est, protections des lignes de communications transatlantiques, gesticulation nucléaire, soutien à la logistique et à la mobilité militaire sans oublier le réveil des grands dépôts avancés de l’US Army dans certains pays membres européens (dont la Belgique) et la nouvelle culture de la réactivité opérationnelle ? (lire aussi : L’OTAN investit en Pologne… en soutien aux Américains). Peut-on y voir une contradiction ? Ou n’est-elle qu’apparence, sachant que la politique américaine (géoéconomie) voit l’Europe aussi comme un marché d’équipements de défense à conquérir et à surveiller ?
Le faible budget US consacré à la défense de l’Europe
Qui peut affirmer que la solidarité transatlantique a totalement disparu ? Certes on peut constater la part « réduite » du budget de la défense US destinée à la défense de l’Europe (seuls 30,7 milliards $ lui sont alloués sur les 602 milliards $ du budget US)5 tandis que les Européens réunis dépensent aujourd’hui davantage que les Russes et autant que la Chine, mais avec bien des duplications et gaspillages. Mais nous n’en sommes pas encore à un pilier européen fort dans une OTAN en grande partie « désaméricanisée » ! Ou à un commandement intégré allié en Europe aux mains des Européens !
L’effacement américain au sein de l’Alliance : peu probable
De toute évidence, malgré l’America first à destination intérieure, la fatigue des Alliances et les réclamations plus affirmées sur le partage des coûts, les intérêts commerciaux et économiques US en Europe sont tels que l’on voit mal l’effacement américain au sein de l’Alliance, formidable outil d’influence. D’ailleurs, malgré les « imprévisibilités trumpistes », la Chambre des Représentants (Démocrates) a approuvé (357 oui et 2 non) une loi réaffirmant que la politique des États-Unis doit être de rester membre de l’OTAN, tout en interdisant l’utilisation de fonds pour quitter l’Alliance. Un fameux verrou !
(André Dumoulin)
CV (2S) Christian MATTON
conseiller naval
L'OTAN, le second « machin » ?
En cette année de célébration du général de Gaulle, peut-on saisir l'opportunité - lorsqu' il attribuait à l'ONU le vocable de « machin » - de se demander si l'OTAN ne mérite pas aujourd'hui le même qualificatif ?
Dans une très rapide réflexion dont le but est de porter la contradiction et le débat, tentons d'y répondre sur trois points.
Un outil militaire agonisant
Pour faire bref, le dernier véritable conflit dans lequel s'est immiscé l'OTAN en tant que tel est le Kosovo. Depuis, que ce soit en Afrique, en Méditerranée ou plus récemment au Haut Karabagh, il s'est montré inerte. Plusieurs explications peuvent être retenues à cette inaction ; mais le fait est que la participation isolée de certains de ses membres dans des guerres « régionales », pour des intérêts et des motivations divers démontre un niveau de cohésion et de cohérence très relatif, à fortiori quand l'intervention d'une des parties va à l'encontre même de l'un ou plusieurs membres de l'alliance. Lorsque le Président Macron parle d'une Alliance en état de mort cérébrale, de nombreux observateurs qualifiés partagent cette vision...
Un outil politique perverti
La chute du mur de Berlin ayant emporté le Pacte de Varsovie, la pertinence du maintien de l'OTAN pouvait être évoquée. Au contraire, l'organisation s'est fait un plaisir de débaucher de nombreux pays de l'ancienne URSS, surfant sur l'histoire récente et le traumatisme des peuples concernés, dans une forme d'encerclement, voire d'étouffement de la Russie. Si cette « logique » pouvait se concevoir vu des Etats Unis d'Amérique, était-ce l'intérêt de l'Europe ? Force est de constater qu'elle a embrayé pour recruter de nouveaux membres dont on peut, pour de nombreuses raisons, se demander si elle n'était pas un peu prématurée. C'est d'autant plus regrettable que l'opportunité d'une Europe de la défense aurait pu être réhabilitée, mais nous savons que cette ambition est torpillée par des pays importants de l'Alliance... L'OTAN devrait nous protéger, mais elle nous assujettit...
Un outil économique dévoyé
D'aucuns considèrent qu'aujourd'hui, l'OTAN est surtout un prétexte aux Etats Unis d'Amérique pour vendre leur matériel militaire, notamment sous couvert d'interopérabilité. C'est un fait, les derniers marchés d'achat d'armes de pays récemment entrés dans l'Union Européenne le démontrent, même si les ressorts de décision sont beaucoup plus larges. Mais l'OTAN a été aussi et reste un formidable moyen de développement ou de défense des intérêts économiques (dois-je rappeler l'existence des ressources naturelles et des corridors énergétiques n° 8 et 10 au Kosovo d'une part, le camp de Bondsteel d'autre part... ) au détriment de l'Europe. Nous sommes très éloignés des principes fondateurs de l'organisation...
Conclusion
Alors que l'Europe à 27 peine à fonctionner dans de nombreux domaines, faut-il franchir le pas et s'orienter résolument vers une nouvelle organisation militaire qui lui soit propre, sur les mêmes principes fondateurs de l'OTAN, ou doit -elle se résigner à rester dépendante d'une Alliance qui a fait son temps, dont les objectifs essentiels apparaissent aujourd'hui détournés de leur logique collective, et dont le fonctionnement et l'efficacité sont un miroir de ce que le général de Gaulle appelait un « machin » qu'elle ne maîtrise pas ?
Bruno CAYZAC
LCL et COL réserve gendarmerie – conseil
Dans le Pacifique, il y a peu de militaires qui parlent du rapport ‘OTAN 2030 : Unis pour une nouvelle ère.’ En dépit de l’activité Russe qui restent toujours importante dans cette région, c’est la menace chinoise qui est la plus préoccupante pour mes collègues japonais, australiens et américains. D’une certaine manière, c’est inévitable quand on constate la rapide montée en puissance de la Chine et son influence dans l’Asie-Pacifique, mais sa puissance et son emprise mondiale sont porteuses défis majeurs pour toutes les sociétés ouvertes et démocratiques. Pourtant on devrait être rassuré que l’œuvre du groupe de réflexion a souligné dans son rapport qui est sorti le 25 novembre 2020, l’impératif pour l’OTAN de ‘consacrer davantage de temps, de ressources politiques et d’énergie aux défis de sécurité liés à la Chine, sur la base d’une évaluation des capacités du pays, de son poids économique et des objectifs idéologiques affichés par ses dirigeants.’ Sinon on risque de somnambule vers un fait accompli avec une puissance mondiale principale qui ne partage ni les valeurs européennes, ni notre respect pour le système international fondé sur les règles.
Le rapport aussi montre la capacité de l’OTAN pour s’adapter, et que l’Alliance n’est plus dans le fameux ‘état de mort cérébrale’ opiné par président Macron en 2019. Il ne nomme pas directement les états-membres qui ont diminué la cohésion politique au sein de l’OTAN depuis l’annexion Russe de la Crimée en 2014, mais il appelle aux alliés de ‘s’abstenir de bloquer des dossiers pour des raisons politiques externes à l’OTAN.’ Ça correspond avec la deuxième des trois priorités entamées par le secrétaire général Jens Stoltenburg pour les recommandations du groupe de réflexion : préserver une forte alliance militaire ; renforcer l’Alliance sur le plan Politique, et adopter une approche plus globale.
Par un communiqué commun avec son homologue Allemand, M Le Drian a rapidement salué OTAN 2030 comme ‘un travail remarquable et des recommandations importantes et équilibrées.’ Les 138 recommandations proposés par le rapport touchent sur une large panoplie de sujets, y compris la Russie et la Chine, les technologies émergentes et technologies de rupture, le climat et défense verte, menaces hybrides et cyber menaces, espace extra-atmosphérique et consultations politiques avec l’UE. Le rapport est surtout compréhensif et devrait être une référence principale dans l’actualisation du concept stratégique de 2010. La situation géopolitique a beaucoup changé dans les dernières années et elle demande que l’OTAN continue de s’adapter et, en même temps, ‘adopte un code de conduite axé sur le respect de l’esprit et de la lettre du Traité de l’Atlantique Nord’ pour défendre la prospérité et la sécurité de ses trente pays membres. Donc l’Alliance sera de plus en plus impliquée dans le Pacifique, aussi que sa zone principale euro-américaine pour confronter les enjeux majeurs de 2030.
Officier supérieur britannique en activité
Contribution François CHARLES ( 20 pages)
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