Roberta METSOLA, Présidente de la Commission européenne à la Sorbonne
Nous étions conviés à l'événement organisé par Le Grand Continent qui accueillait Roberta METSOLA, Présidente de la Commission européenne, que le Président rencontre parfois lors des plénières de Strasbourg, auquel nous répondrons point par point
ci-après le texte de l'intervention diffusé par le Grand Continent
Bonsoir Mesdames et Messieurs,
Je veux tout d’abord vous dire mon plaisir et mon honneur d’être parmi vous ce soir.
Avant de développer mon propos, en français, je tiens à vous faire une confidence. À chaque fois que je m’exprime dans la langue de Molière, mes garçons, mes enfants, me disent « Maman, c’est horrible ton accent… ».
Alors à la manière de Churchill qui s’exprimait place Kleber à Strasbourg en 1950, je vais vous faire cet avertissement : « prenez-garde, je vais parler français ».
Mais soyez rassurés, la beauté des lieux, l’histoire de la Sorbonne ne m’ont pas frappé au point où je pourrais me prendre pour l’illustre homme d’État britannique et européen.
Il y a plusieurs points qui nous distinguent…
Pour autant, comme en 1950, nous sommes à la croisée des chemins et contrairement au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, où l’espoir d’un avenir meilleur l’emportait, nous faisons face à de multiples périls.
C’est pourquoi, je suis honorée de pouvoir prononcer ces mots, ici, parmi vous. Et avant de développer mon propos, permettez-moi de remercier la Sorbonne pour l’accueil qui m’est réservé. Remercier aussi et surtout la revue Grand Continent, qui s’est proposé d’organiser cette rencontre.
Mesdames et Messieurs,
Je suis venue ce soir pour parler de l’avenir. Pour parler de l’Europe. Du rôle de l’Europe dans un monde de plus en plus dangereux et instable. De l’importance de l’Europe pour la France. De l’importance de la voix de l’Europe au Moyen-Orient, en Afrique, en Ukraine, en Arménie.
Je suis également venue partager ma conviction profonde que nous pouvons bâtir ensemble une Europe puissante, leader mondial dans le domaine de la transition écologique et numérique. Une Europe qui parvient à s’affranchir de ses dépendances pour garantir notre sécurité, notre autonomie et notre prospérité. Une Europe qui apporte des réponses aux défis et difficultés de la vie quotidienne.
Je suis enfin venue vous dire que l’Europe n’est pas infaillible et qu’elle doit évoluer, se réformer pour éviter de perdre de sa pertinence.
Mais je veux aussi échanger avec vous, entendre ce que vous attendez d’une Europe qui est la vôtre. Nous sommes à moins d’un an des élections européennes, et je ne sais que trop bien que nous devons faire davantage pour convaincre de la valeur ajoutée de notre projet collectif.
Il n’y a pas de meilleur endroit pour mener une telle discussion, qu’ici, à la Sorbonne, lieu de savoir et de pensées.
Mesdames et Messieurs,
Le monde est confronté à des défis sur de multiples fronts. Certains de ces fronts sont aux portes de l’Europe, dans notre voisinage oriental et méridional. La situation désespérée à Gaza jette une ombre sur l’ensemble de la région. La réponse apportée à cette situation définira l’avenir de la région et de l’Europe.
Rien ne peut excuser — ou justifier — les viols, les enlèvements, la torture et les meurtres délibérés de communautés entières, d’enfants, de femmes, d’hommes, et de jeunes. Ces actes horribles ont été perpétrés par une organisation terroriste. Soyons clairs à ce sujet. Le Hamas ne représente en rien les aspirations légitimes du peuple palestinien. Ils y font obstacle.
Le Hamas ne peut être autorisé à agir en toute impunité. Les otages kidnappés doivent être libérés.
La situation à Gaza est horrible, c’est une crise humanitaire. C’est la raison pour laquelle l’Europe a appelé à une pause humanitaire, à une désescalade et au plein respect du droit humanitaire international.
Les civils et les innocents ne doivent pas payer le prix des actions méprisables du Hamas.
Nous devons mettre fin à cette terreur et nous devons le faire en garantissant la sécurité et la vie des civils, des enfants, des journalistes. Cela doit être fait tout en évitant la destruction inutile des infrastructures civiles.
Oui, la réponse d’Israël importe à l’Europe.
L’Europe est prête à s’engager sur le long terme, à œuvrer en faveur d’une paix durable au Moyen-Orient. Car l’Europe a appris à surmonter l’insurmontable et a pu trouver le chemin de la paix. La France ne le sait que trop bien, elle qui a été un des acteurs majeurs de la réconciliation européenne.
Nous soutenons une solution équitable et juste pour les parties impliquées, fondée sur la coexistence de deux États. Nous continuerons à défendre cette politique.
La situation complexe au Moyen-Orient ne peut nous détourner de ce qui se joue par ailleurs sur notre front Est.
En Europe, beaucoup pensaient que les relations économiques et commerciales avec Moscou, notamment l’importation de gaz russe, étaient des facteurs de stabilité. C’était faux.
La vérité c’est que rien n’a empêché la Russie d’envahir l’Ukraine d’une façon brutale, injustifiée et illégale. Et cette guerre, qui se déroule sur notre continent, nous concerne au premier plan.
Notre soutien à l’Ukraine ne doit en aucun cas faiblir. Contrairement à ce que pense le Président Poutine, nous ne laisserons pas la lassitude s’installer. Il en va de la sécurité de l’Europe comme de celle de l’Ukraine.
Dans ce contexte, l’Europe doit répondre à des questions très graves.
Nos démocraties sont-elles suffisamment fortes pour répondre à des menaces totales ? Notre économie ouverte, notre État de droit peuvent-ils résister aux attaques ? Est-ce la « loi du plus fort » qui doit gouverner les relations internationales ? Ce sont des questions vitales pour l’Europe. Nous n’avons pas d’autre choix que de défendre, avec fermeté et avec courage, notre civilisation.
Nous devons défendre avec force nos valeurs et nos modèles politiques de démocratie libérale.
C’est ce qui se joue en Ukraine.
Il n’y a pas d’alternative. Enfin si, il y en a une… Mais ce serait une faute morale et politique d’abandonner l’Ukraine. Car la Russie ne s’arrêterait pas sur cette lancée.
Chacun ici connaît cette autre phrase de Winston Churchill, encore lui, au moment des accords de Munich : « Vous avez eu le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ».
Si, aujourd’hui, l’Union européenne a choisi de soutenir massivement l’Ukraine, c’est qu’elle veut deux choses : l’honneur et la paix ! Mais une paix véritable fondée sur la liberté et l’indépendance de l’Ukraine.
Et tandis que l’Afrique, en particulier l’Afrique subsaharienne subit une vague sans précédent de déstabilisation et de prédation, il est urgent de sortir de notre posture, au mieux naïve, en réalité condescendante avec ce grand continent.
Je partage votre conviction, chers Gilles et Mathéo, que pour réussir sa transition géopolitique, l’Europe doit sortir de certains mauvais réflexes. Comme vous le soulignez, nous devons arrêter avec cette forme d’arrogance à l’égard de l’Afrique.
Il nous faut penser à l’échelle continentale.
Penser à l’échelle continentale, c’est permettre à l’Europe d’être en capacité de parler d’égal à égal avec les grands pays continents.
Pour cela, nous devons investir dans notre relation avec les pays d’Amérique latine. Nous devons également donner un nouvel élan à notre partenariat transatlantique historique.
Je le répète sans naïveté, en nous appuyant sur nos atouts, en assumant nos intérêts et en défendant nos valeurs, autant de composants essentiels de notre modèle européen.
Chers amis,
L’Europe est également confrontée à des défis à l’intérieur de ses frontières.
Nos concitoyens ont du mal à payer leurs factures. L’urgence du réchauffement climatique et la transition numérique affectent nos économies et l’emploi. Les questions migratoires sont également un facteur d’inquiétude.
Face à cela, les Européens ont besoin de réponses. Nous devons, face à cela, assurer leur sécurité : sécurité physique, sécurité économique, sécurité sociale et environnementale.
À cette fin, il est l’heure pour l’Europe d’assumer un regain de responsabilité. Que l’Europe assume d’être un projet de puissance et d’indépendance.
L’avenir de l’Europe se définira en fonction de notre capacité à rester souverains et compétitifs. Devenir le leader de la transition numérique et climatique. Se départir de nos dépendances énergétiques et réduire la domination des grandes entreprises du numérique.
C’est la raison pour laquelle, nous préparons l’avenir en nous engageant à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Le Pacte Vert européen concerne d’ailleurs autant notre sécurité énergétique et le renforcement de notre compétitivité que la transition environnementale et climatique.
Néanmoins, nous devons veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte dans cette transition. Nous devons veiller à ce que nos industries, nos entreprises et nos concitoyens les plus modestes disposent des filets de sécurité nécessaires.
Nous devons également mieux expliquer pourquoi cette transition est nécessaire pour stimuler une croissance économique durable, pour créer de nouveaux emplois et pour mener la révolution industrielle de demain.
Aucune de nos politiques ne fonctionnera sans acceptabilité sociale et si les mesures mises en œuvre sont ni réalistes, ni pragmatiques.
Le numérique est également un défi qui est encore devant nous.
Avec des lois sur les marchés et les services numériques ainsi que sur l’intelligence artificielle, l’Europe a déjà pris de l’avance en édictant des standards qui ont vocation à devenir mondiaux. Ce pouvoir normatif est la garantie de notre indépendance.
La question migratoire préoccupe également les Européens.
Trop souvent nous avons assisté aux querelles entre gouvernements nationaux, sur l’accueil de bateaux de fortunes en perdition en Méditerranée.
Aucun État membre ne devrait être laissé seul à assumer une responsabilité disproportionnée. Tous les États membres devraient contribuer solidairement face aux défis migratoires.
Nous ne pouvons pas laisser ce sujet aux mains de forces populistes qui se réjouissent de notre inefficacité, sans pour autant apporter de solutions réalistes à une problématique complexe.
Aussi entre Européens, nous travaillons à la mise en place d’un cadre juridique, qui sera juste et humain avec ceux qui ont besoin d’être protégé. Un cadre juridique qui sera ferme vis-à-vis de ceux qui ne sont pas éligibles à l’asile. Un cadre juridique enfin qui sera implacable vis-à-vis des passeurs qui profitent de la misère des plus vulnérables.
Nous le devons à nos concitoyens, nous le devons aussi à ceux qui risquent leur vie sur le chemin de la migration. Car derrière les chiffres, il y a toujours des vies humaines, des histoires parfois tragiques, l’espoir d’une vie meilleure.
Après une décennie d’efforts, nous sommes enfin prêts à sortir de l’impasse au niveau européen.
Mesdames et Messieurs,
Il est un autre défi que j’aimerais évoquer : celui de la guerre de l’information, ou plutôt devrais-je dire de la désinformation.
Désinformation qui, au demeurant, affecte nos démocraties et nos sociétés libérales depuis le tournant des années 2000 avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux.
La désinformation a beau être vieille comme le monde, les outils technologiques que sont l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux lui donnent une portée inédite.
Et c’est un danger absolu.
Ce danger est d’autant plus grand, qu’il est amplifié par des États comme la Russie et l’Iran qui sont tout sauf des modèles de vertu démocratique et qui ont beau jeu de souffler sur les braises de la polarisation de nos scènes politiques.
L’objectif est le même : dénigrer les démocraties. La méthode est constante : semer le doute.
Nous devons plus que jamais prendre les mesures nécessaires et nous armer pour lutter contre cette offensive.
Oui, le monde est de plus en plus dangereux. Oui, l’Europe fait face à des défis au combien grands.
Mais nous devons tenir bon. Tenir bon pour construire et défendre la paix et la liberté. Nous n’avons pas le droit d’oublier ce que nous sommes et ce que nous voulons. Pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour l’Europe.
Je fais partie d’une génération qui était enfant lorsque le mur de Berlin est tombé, lorsqu’un peuple s’est soulevé sur la place Tiananmen… Une génération qui se souvient de l’effondrement de l’Union soviétique et de la joie effrénée de millions d’Européens enfin libres de choisir leur destinée. Nous avons vécu cette victoire.
Mais avec le temps nous sommes devenus trop sûrs du caractère solide et évident de cette liberté. Des mouvements extrêmes sont aux portes du pouvoir çà et là en Europe. Voire y participent déjà.
Et c’est pourquoi nous devons sérieusement repenser et réformer l’Europe. L’histoire de la construction européenne nous a montré que c’est au travers des crises que nous gagnons en responsabilité, que l’Europe avance, se transforme, évolue, se renforce.
Et si cela peut paraître lointain, parfois inquiétant, pour beaucoup de nos concitoyens, nous devons aborder la question de l’élargissement dans sa globalité.
La marche du monde ne nous attend pas. Si nous n’osons pas ce changement, notre projet collectif stagnera et perdra de sa pertinence. Nous devons nous adapter à la nouvelle réalité géopolitique que je viens d’évoquer. Si nous ne répondons pas à l’appel de nos voisins, d’autres acteurs géopolitiques le feront et viendront combler le vide à nos frontières.
Nous avions les mêmes craintes avant l’élargissement de 2004. Pourtant, l’histoire nous a montré qu’une Union européenne élargie, fondée sur des objectifs clairs, sert à défendre la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité de l’Europe sur la scène internationale.
Tous les États membres et les Européens en sont ressortis gagnants.
C’est pourquoi nous nous sommes battus pour que l’Ukraine et la Moldavie obtiennent le statut de pays candidats à l’Union Européenne. C’est la raison pour laquelle nous pensons que les négociations avec les pays des Balkans doivent également progresser.
Car l’espoir de l’adhésion donne à ces pays une perspective européenne et leur donne un élan pour faire avancer des réformes démocratiques.
Néanmoins, une telle perspective ne pourra se concrétiser sans réformes institutionnelles de notre projet politique. Une Union à trente, trente-trois ou trente-cinq ne pourra pas fonctionner avec les mêmes règles qu’à vingt-sept.
La réforme de notre structure institutionnelle et de nos procédures, la réforme de notre budget européen sont autant de chantiers essentiels. L’adaptation de nos politiques structurelles l’est tout autant afin d’arrimer les pays candidats, bien avant leur adhésion, mais également permettre à l’Union de les intégrer. C’est un des défis majeurs qui est devant nous.
Malgré tout ce que je viens de dire, je suis par nature optimiste. Aussi je suis convaincue que si nous parvenons à établir une Union élargie, ambitieuse, unie et cohérente ; une Union efficace qui ne laisse personne au bord du chemin et répond aux préoccupations concrètes de nos concitoyens tout en tenant sa place dans la marche du monde, alors ce sera notre meilleure réponse au populisme et à l’extrémisme.
Mesdames et Messieurs,
A l’approche des élections européennes de juin prochain, il est plus important que jamais de réfléchir ensemble au rôle que joue l’Europe, et surtout au rôle que nous souhaitons lui donner…
Je suis la plus jeune Présidente de l’histoire du Parlement européen. Je ne suis que la troisième femme à ce poste, après Simone Veil et Nicole Fontaine. Et si je suis devant vous ici, c’est grâce aux combats que ces deux femmes admirables ont mené.
Je suis consciente de ma responsabilité envers elles, envers toutes les femmes qui viendront après moi, envers notre projet européen.
Et c’est pourquoi, en ce moment critique de notre histoire, je veux appeler tous les Françaises et les Français à s’engager.
Si vous pensez que la direction que notre projet commun prend n’est pas la bonne ou au contraire vous souhaitez qu’elle soit approfondie, alors engagez-vous ! Il est de votre responsabilité de le changer.
N’attendez pas que quelqu’un d’autre le fasse pour vous. Aussi allez voter, trouvez votre voix, trouvez une cause et battez-vous pour elle.
Croyez en l’Europe. Car l’Europe mérite qu’on la défende et nous avons tous un rôle à jouer à cet égard.
Un dernier mot, chers amis,
Je sais ô combien les Français aiment les citations des hommes illustres de leur passé. Aussi, comment pourrais-je conclure mon intervention sans citer celui qui a donné son nom à ce magnifique amphithéâtre et qui repose non loin d’ici ? Le Cardinal Richelieu disait « Il faut écouter beaucoup, et parler peu pour bien agir… ».
J’ai peut-être trop parlé, mais je suis prête à écouter.
Merci.
Le 30 octobre 2023, Roberta Metsola, Présidente du Parlement européen s’exprimait à la Sorbonne, dans l’amphithéâtre Richelieu. À huit mois d’élections européennes qui s’annoncent décisives pour l’Union et alors que la guerre paraît s’étendre sans frein, elle a exposé sa vision pour une Europe qui se trouve à la croisée des chemins : conflit en Ukraine ; guerre de Soukkot ; élargissement ; participation des citoyens européens. Ce sont ces questions, les grands défis de l’Europe contemporaine, qu’elle a abordées dans un discours fondateur.