Dix ans de relations parlementaires européennes
Après 10 ans de relations parlementaires européennes, au sein de 30 ans de relations institutionnelles, et au-delà des analyses politiques, je souhaitais faire une photo ou une rétrospective pour donner ma perception des relations et des évolutions de fond et de forme du parlement européen, comme je le vois à Bruxelles et surtout à Strasbourg, lors des plénières pour les votes. Y retournerai-je une onzième année et pour y faire quoi surtout après avoir écrit ceci sans forcément dévoiler une face cachée.
Par François CHARLES
Economiste, expert stratégie et géopolitique, président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe (I.R.C.E.).
En tant que personne accréditée auprès des institutions via l’IRCE, institut lui-même inscrit au registre de transparence, j’ai droit à un badge me donnant accès à presque tout au Parlement européen, parfois sous certaines conditions. Comme lors des contacts avec de multiples ambassades, je peux donc apprécier cette dimension européenne, comme celle de l’OTAN, véritable vecteur d’intégration, en interdépendance avec les politiques nationales, qui a pu transformer ma défense des intérêts français à celle des intérêts européens dont français. Je dis souvent que je fais du lobbying intelligent, bon pour l’Europe. En la matière chacun peut avoir ses propres lunettes.
La dimension européenne permet de créer ou déconstruire des coalitions et discussions entre groupes, en toute démocratie au fil des dossiers. Les élus peuvent aussi changer d’avis au niveau européen par prise de conscience et par rapport aux ancrages locaux, comme on peut aussi le découvrir en France actuellement. Ils peuvent aussi être incités à le faire pour élire le président de la Commission parmi ou non les candidats principaux de liste en fonction des négociations d’équilibre avec les Nations. Il y a cinq ans, les dernières élections avaient laissé une certaine amertume dans l’hémicycle et surtout en aparté partageant une bière avec certains ténors. Qu’en sera-t-il lors des prochaines de 2024 ?
Au fil des années, les attitudes et comportements ont changé lors des séances, ou du moins ont changé de camp. On peut par exemple y côtoyer certains députés, apparemment très corrects, pouvant ensuite bruler le drapeau européen, ou bien partager un café avec d’autres ayant pour but d’emmener leur pays à réussir à quitter l’UE. Certains groupes cherchent encore leur place quand d’autres s’opposent de toute façon à tout. Mais ici les amendements ne sont pas posés contre un groupe politique mais toujours contre les propositions de la Commission, qui dispose seule du droit d’initiative et du conseil des ministres nationaux. Il n’existe pas non plus forcément de liens entre les députés envoyés à Bruxelles et leurs homologues nationaux alors que ce sont ces derniers qui doivent souvent ensuite adapter les directives votées par les premiers. Cherchez l’erreur.
Je me souviens par ailleurs toujours de l’émoi européen lors de l’arrivée de l’imposant groupe identitaire français qui s’est ensuite plongé dans une certaine normalité voyant bien les limites de son action. Il défend désormais ses convictions de politique générale, remettant en question de l’effet cliquet avec des réalités que les progressistes, défendant un même moule, peuvent lui reprocher. Il décroche désormais de toute alliance pouvant le montrer du doigt ou pourquoi pas lui donner le syndrome de Bruxelles, qu’il a déjà ressenti avec désormais l’acceptation de l’euro et de la permanence au sein des structures. D’autres groupes se voient torpillés par des alliances nationales et rompent des liens pour les mêmes causes. Pour autant il existe peu d’alignement de planète entre les votes nationaux et européens, entrainant parfois certaines frustrations, tout en restant dans des processus démocratiques.
J’ai la possibilité, comme les groupes de visiteurs invités, d’assister aux votes et débats, qu’il est possible de faire sur internet. Mais il est toujours mieux de recadrer les réalités, à savoir les opérations de communication des députés qui passent devant un hémicycle quasiment vide que l’on ne voit jamais en vidéo et qui repartent immédiatement alors que les Commissaires et représentants du Conseil se voient parfois reprocher leur absence. Certains répondront bien entendu que tout se passe en commissions internes et tripartites. Il est toujours intéressant d’écouter les échanges, à travers les 24 langues officielles, après les discours réguliers des autorités nationales ou européennes et des rapporteurs. Par contre tout le monde doit être présent pour les votes, même ceux à qui l’on reproche de ne pas travailler, sous peine de voir les indemnités réduites de moitié.
J’ai aussi la possibilité de participer à des auditions organisés par les groupes, ceux là non en ligne, voire aussi de m’exprimer lors de certains sujets à faire connaitre par invitation de parlementaires. Dans certains espaces dédiés, les ONG ou autres structures organisent souvent des expositions mais il n’est pas fréquent de pouvoir organiser des colloques sous parrainage, comme nous le faisons à Paris. Par contre l’I.R.C.E. dispose d’un statut reconnu qui lui permet de réserver tout ou partie des infrastructures hors session sans avoir besoin de parrainage, ce qu’il n’est pas possible de faire à Paris. J’en profite aussi pour récupérer à chaque fois de nombreux documents produits par les service du Parlement, très utiles et bien faits en libre service, pour ensuite les diffuser sur notre site afin d’alimenter les membres et les groupes de travail sur les politiques publiques et les écosystèmes. Les élus arrivent parfois voire désormais souvent à Bruxelles et Strasbourg accueillis par des manifestations, ce qui est moins fréquent au niveau national.
Devenu expert en économie de défense et autres affaires industrielles, ayant une culture politique et d’ancien cadre de parti, j’aurais pu à nouveau franchir le pas. Je préfère désormais côtoyer tous les élus pour analyser leurs propositions de politique générale tout en leur demandant de ne pas critiquer celle des voisins, ce qui est par définition difficile.
Nous instruisons des dossiers et des projets à charge et à décharge, avec souvent valorisation transverse pour faire avancer les politiques publiques, certes en relation avec les ministères, les parlementaires et responsables territoriaux, les ambassades, les grands groupes industriels comme les PME dans de nombreux domaines et même certains cabinets de lobbying connaissant leurs clients. Nous sommes parfois capables de prendre des décisions de soutien et de propositions, en tant que structure génératrice d’idées et d’action, reconnu comme tel par les institutions, dans l’intérêt général après discernement. On y parle gouvernance, défense, énergie, transports, environnement, agriculture, numérique, espace etc…avec les uns et les autres en fonction de leurs appartenances à certaines commissions. Certains, de stature différente ou d’expériences multiples, parleront surtout de gouvernance, devenus parfois professionnels de la politique. Certains élus disposent de petites équipes et d’autres d’un nombre important de collaborateurs avec même des directeurs de cabinet. Certains collaborateurs peuvent changer trois fois d’élus dans une même législature. Certains collaborateurs deviennent ensuite élus, voire chef de groupe politique.
J’ai l’occasion d’observer, de voir, écouter, de parler, d’interviewer avec ou sans rendez-vous, dans leurs bureaux étroits de Strasbourg ou luxueux de Bruxelles, dans les espaces conviviaux des bâtiments, voire convenir d’un repas ou d’une collation à l’extérieur. Le parlementaire n’est pas dans une tour d’ivoire et peut être contacté n’importe où. En professionnel de l’intelligence, je sais aussi qu’il est intéressant d’ouvrir mes oreilles quand je suis au milieu de nombreux élus, même s’ils parlent de nombreuses langues, comme quand on est au bar d’un lieu stratégique dans une ville.
A Bruxelles comme à Strasbourg, il est souvent important de rester le soir, non pas pour écouter les séances jusque tard dans la nuit mais pour créer des relations privilégiées. Comme pour mes relations avec les ambassades, je n’y vois par ailleurs jamais mes collègues des autres Think tank français qui préfèrent sans doute d’autres lieux. Chaque député reçoit nos communications ou nos sollicitations, comme au niveau national. Il est possible de les contacter tous ensemble sans voyager à travers la France et l’Europe. Certains interviennent dans nos événements en présence ou en visioconférence sur des sujets variés. Et comme au niveau national, les humeurs positivent ou négatives varient au fil des échanges
Les équipes sont plus jeunes, moins expérimentées et moins accessibles que les plus âgés peu être aussi qui me connaissent davantage. J’ai vu passer ceux qui sont là par passion et conviction et ceux qui ont été envoyés, comme c’est encore le cas, par compensation ou gratitude, avec un ancien métier sans aucune relation avec la politique, mais qui peuvent aussi ensuite acquérir la fibre. Certains font des aller retour entre commission, parlement et ministères, certains voient le parlement comme un dernier poste et quittent à la retraite. Certains le font à la fin du premier ou d’autres mandats, soit par non réélection, soit par volonté, par constat d’impuissance ou d’échec voire d’amertume, mais aussi parfois par stratégie, par nomination en ministère ou pour rejoindre les bancs nationaux par choix personnel ou par conviction que le réel pouvoir s’exerce au conseil des ministres et qu’il convient d’être plus proche des votes nationaux.
Certains peuvent échanger en anglais avec les autres nationalités et d’autres restent entre eux. Cette notion est importante car la France a souvent des idées mais doit les faire partager, surtout en amont avant l’hémicycle. Certains curriculum vitae que l’on découvre avec bonne surprise, peuvent se le permettre. D’où également l’importance de disposer de jeunes collaborateurs polyglottes pour faciliter les liens.
Il y a ceux qui invitent des groupes de visiteurs avec déjeuner inclus, uniquement s’ils sont encartés ou sont prêts à le devenir. Certains attrapent le syndrome européen quand d’autres ne le comprennent pas, veulent conserver leurs lunettes nationales ou repartent avant de l’attraper.
Comme pour les relations au Parlement au niveau national, il n’y a rien de tel de les voir et les rencontrer en direct, comme dans les salons et les conférences, plutôt que passer par le filtrage des attachés parlementaires utilisant parfois négativement un certain pouvoir de filtrage et qui privent finalement des échanges précieux.
Les échanges de confiance se créent et se rompent, comme au niveau national, passant parfois de l’interrogation, la méfiance à la connaissance, à l’intérêt, l’entente cordiale puis parfois au désintérêt, en désapprobation de certaines rumeurs ou questions. Certains me prennent pour un journaliste, qui ont pourtant une autre tenue et des zones bien définies. D’autres, avec des regards durs, me prennent pour un lobbyiste payé pour influer et faire des sujets indéfendables, mangeant à tous les râteliers, voire avec de possibles billets dans son sac comme on ne fait plus que l’imaginer avec des perquisitions de plus en plus fréquentes. Notons que certains élus mis en examens soupçonnés de corruption ont toujours leur poste ou leurs entrées et leurs amis fidèles, comme cette ancienne vice présidente que je prenais pour une lobbyiste avant de m’informer mais sans pour autant la juger tellement la chose est indigérable. Ma neutralité politique devrait être appréciée mais certains n’aiment pas non plus que l’on parle à tout le monde, considérant sans doute que les idées et les travaux ne sont pas partageables. Les soupes girouettes à la grimace après les gentils mots d’avant souvent sans explication font parfois sourire. Les filtrages sont désormais aussi plus strictes dans certains lieux.
A part quelques exceptions, les parlementaires ne s’instruisent pas, ont leurs propres convictions et semblent vouloir trouver les idées tous seuls sauf en confrontation avec certains écosystèmes bien nécessaires à recevoir. En tant qu’élus, certains cherchent à apprendre, d’autres se prennent trop au sérieux avec la science infuse et jalousent les possibles relations étroites et de travail entretenues avec la Commission, initiatrice des sujets et le Conseil, pouvant à leur avis gêner les discussions tripartites de plus en plus étendues, sauf à y découvrir des éléments perturbants. Il est pourtant un certain devoir de participer au reporting d’information.
Les élections qui s’annoncent ne changeront pas grand-chose sauf une augmentation des discussions internes et de toute façon pas le fait que le second et plus petit hémicycle restera attribué au parti le plus important actuellement en place, pouvant être utilisé aussi à certaines activités annexes pour parler d’Europe, sujet dont les gens parlent finalement le plus sauf qu’ils n’ont pas les mêmes lunettes, ainsi que les mêmes oreilles, que ce soit au niveau européen ou national. Rien ne dit si la commission et les Etats décideront de changer les traités pour permettre au Parlement d’avoir enfin aussi un droit d’initiative des dossiers et pour s’exprimer sur le fond et la forme sur tous les dossiers, ce qui n’est pas le cas, au risque d’ailleurs de ne pas faire passer certains textes pourtant voulu par l’exécutif. Peut-être faudra-t-il aussi installer un sénat des régions décisionnaire plus que consultatif même si l’important est aussi de parler et accroître les liens pour éviter toute rupture interne et progresser dans une construction réaliste et réalisable.