MERCI CHARLIE POUR L'EUROPE
Ce jour du 11 janvier 2015 ne fut pas comme les autres. Certes intégré dans une série de rassemblements, cet événement historique de prise de conscience citoyenne et politique fut grand pour la France mais aussi pour l’Europe et le monde, notamment aux Etats-Unis et en Russie, inquiets, impressionnés et emportés par cet élan émotionnel que l’on n’avait pas connu pour les uns depuis la libération, pour les autres depuis les événements de Pologne, voire l’enterrement de Jean-Paul II ou de Lady Diana. Il reste maintenant à en garder l’extrait de l’alambic pour aller de l’avant en veillant bien à ce que personne ne le brise.
L’Europe s’est réunie avec de nombreux dirigeants pour réaffirmer son identité et ses valeurs. Elle a souvent besoin de thérapie collective contre un risque invisible quoique sous-jacent. Le Premier ministre français a été applaudi debout par les députés en affirmant qu’il était légitime d’être fier d’être Français. Profitons de ce drame français pour progresser dans l’optique de notre fierté d’être Européens, unis dans la diversité avec nos propres identités et nos différences qui en font sa force. Et la France a su montrer une fois de plus qu’elle apportait quelque chose à l’Europe, qu’elle avait eu raison d’être présente au Mali, supportée matériellement par ses partenaires même s’ils n’envoyaient pas de troupes sur le terrain. Je préfère souvent dire quelle France pour l’Europe, pour mieux avancer, que l’inverse.
Le peuple et les 50 chefs d’Etats et de gouvernements n’étaient pas en colère pour la même chose Ils se sont retrouvés pour montrer leur solidarité, pour dire que les terroristes ne pourront être tranquilles dans un pays. Ils se sont réunis comme toutes les facettes d’un diamant, composante d’un même bijou. Nous retiendrons cette image émouvante et émotionnelle du couple franco-allemand, comme celle aussi des représentants du moyen orient réunis par la France et l’Europe. Nous remarquerons certaines présences sans doute opportunistes et étonnantes mais encore une fois, tout le monde n’était pas là pour la même chose.
On peut comprendre que tout le monde ne soit pas « Charlie » ni n’apprécie ces caricatures qui insultent même si c’est « pour rire ». Chacun ses lunettes. De même qu’il est délicat de comprendre sans juger le fait que certains jeunes qui ne veulent pas faire la minute de silence considérant qu’ils n’ont eu « que ce qu’ils le méritaient », oubliant les otages tués dans l’hyper Casher.
Certains étaient là pour la liberté d’expression (d’habitude face à un pouvoir), d’autres contre l’extrémisme, le terrorisme et pour un espace de paix et de sécurité contre désormais simultanément des risques diffus (le terrorisme masqué) et les menaces identifiées (un état dit islamique identifié géographiquement avec une armée). D’autres étaient là contre le racisme et l’antisémitisme, d’autres pour essayer d’être forts face à la terreur, d’autres pour la démocratie, la laïcité, pour la république (même si les monarchies européennes n’ont pas à rougir), d’autres pour avoir le droit de regarder dans les yeux ceux qui ne supportent pas le nôtre par suspicion ou haine. D’autres étaient en colère contre le fait d’utiliser les balles contre les opinions. D’autres étaient là pour réaffirmer les bases de notre espace de paix et de sécurité.
Pour autant l’Europe chrétienne ne doit pas tomber dans le piège de partir en croisade contre l’Islam, où veulent nous emmener ces terroristes qui font dans notre monde désormais civilisé ce qu’il est permis de faire dans le nouveau Califa, même si Dieu n’a jamais demandé de tuer et même si nous l’analysions peut-être autrement au temps révolu des croisades. Ne remarque-t-on pas des attitudes de plus en plus radicales et haineuses de la part des personnes qui s’estiment incomprises par le système et qui en recréent un autre à leur pensée en s’enfonçant dans le côté obscur de la force ? Ne s’agit-il pas d’une guerre de religion arrivée sur notre sol sans chercher l’alibi de la crise sociale et économique ? N’assiste-t-on pas à une impression que cette réaction n’a fait que renforcer le désir de frapper ? Qu’en est-il de cette Europe qui se veut forte sans comprendre les différences ? Ecoutons le pape qui nous donne encore la voie de la sagesse, comme je l’écrivais dans l’article « urbi et orbi pour l’Europe » : « s’exprimer librement est un droit fondamental mais n’autorise pas à insulter la foi d’autrui » (Le Point). Tout le monde n’aime pas l’Europe, tout le monde n’a pas la foi pour lui-même ni pour autrui. Il serait dommage que l’identité européenne naisse d’un tel constat. Il serait dommage qu’une bonne guerre réunisse tout le monde, et même la Russie.
Et maintenant ? Sur quels sujets et quels thèmes aller de l’avant ? Tout le monde est-il lié ? Nous avions vu Vladimir Poutine côtoyer certains chef d’Etat pour les fêtes du débarquement pour ensuite rappeler qu’il y avait eu plus de soldats russes tués, repris en coeur par les anti-étasuniens français, en oubliant les réalités de la technique russe de la boucherie et du rouleau compresseur. Mais il ne s’agit pas ici de régulation entre chefs d’états sauf peut être avec l’Etat islamique qu’il ne faut bien entendu pas reconnaître.
Le deuil est en cours. Le coup de théâtre plus ou moins attendu et le déni ont vite laissé place à la colère et désormais il est temps pour l’analyse et l’action. Ce drame français partagé au niveau européen appelle des mesures françaises qui doivent être partagées de la même façon pour la sécurité en Europe.
Tout en prenant en compte ce besoin d’identité, cette crise peut faire avancer notre gouvernance et placer enfin la sécurité et la défense dans les compétences exclusives régie par règlements comme dans tout système fédéral sans avoir peur de perdre son identité et en comprenant enfin qu’ensemble nous sommes plus forts si nous savons trouver une interdépendance.
Il est temps d’avoir une réponse cohérente de l’UE comme le réclament en partie le président du Conseil européen et le Premier ministre français (Les Echos 14 janv.), de renforcer les frontières Schengen mais aussi de l’intérieur, comme les cloisons de la coque d’un même bateau, de créer des quartiers à risques avec cloisonnement, d’accroître les échanges de fichiers des données sur les passagers comme ce l’est encore pas le cas voyant bien que l’aéronautique reste une compétence nationale avec les difficultés que cela crée aussi au niveau de Ciel Unique. Il est temps de renforcer la coopération policière, instituer une DGSI européenne, instituer une force d’action rapide navale européenne en méditerranée, étendre l’académie européenne de gendarmerie, mieux formaliser les analyses de risque, ne pas baisser les actions de politique extérieure comme en Ukraine mais aussi en Lybie comme s’émeuvent le Premier ministre italien ainsi que la nouvelle représentante des affaires extérieures, d’origine italienne qui ont une légitimité historique pour en parler.
C’est le moment d’élargir le noyau dur du Conseil National de Sécurité, dont une identité européenne, de prendre en compte les outils d’efficacité de l’OTAN sans chercher à les dupliquer mais en sachant les intégrer avec une réelle interdépendance étasunienne qui semble être prête à coopérer non seulement à sens unique.
Enseigner les valeurs européennes de paix et de sécurité comme enseigner la pédagogie de la laïcité française, comme autrefois quand existait le service militaire, doit être considéré comme une opportunité de dialogue et de prise de conscience avant qu’il ne soit trop tard. Une majorité d’électeurs a voté Front National car lui seul sait les entendre comme dans d’autres pays. La radicalisation religieuse sait écouter et convertir des personnes calmes comme le volcan mais qui savent aussi exploser quand la goutte fait déborder le vase. A ce même titre, certains politiques ou responsables étatiques et administratifs nationaux et régionaux peuvent, par leur simple volonté de pouvoir sans écoute ni bienveillance, empêcher des actions de communication européenne au risque de radicaliser certains experts et certaines populations. Est-ce cela que nous voulons pour l’Europe dont la France et ses 27 partenaires ?
François CHARLES
Président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe