DE L'ETHIQUE FINANCIERE EN SITUATION DE CRISE
L'étique financière en situations dites ou pouvant être considérées comme normales, peut déjà poser questions dans certains domaines d’activité. Celle des situations de crise, voire de guerre latente, ouverte ou assimilée dans de nombreuses situations, nous en pose d’autres, notamment relatives au pouvoir, à l’empathie, à la solidarité et elle peut aussi aider à faire évoluer la normalité.
Par François CHARLES, économiste, conseil en stratégie, management, affaires européennes et internationales
La crise sanitaire actuelle nous ouvre les yeux sur les différences de perception, en équité ou égalité de traitement, surtout financier. Elle a été considérée comme une guerre par le Président de la République française, assez isolé en Europe sur ces mots, mais cherchant sans doute aussi le moyen de montrer son rôle voulu de leader responsable, voire opérationnel de la défense de l’Europe.
Parfois des crises sont appelées des guerres, notamment pour mieux faire passer certaines mesures d’état d’urgence en plus de sensibiliser les populations. Parfois des guerres sont appelées crises pour les minimiser tant qu’elles ne sont pas totalement des guerres. Enfin, des guerres vues par certains ne seront que des crises pour d’autres.
La finance est le nerf de la crise, comme de la guerre. Les impacts financiers et économiques seront plus ou moins forts entre les hauts ou bas revenus, avec ou sans risques de salaires. Il existera sans doute des différences de survie, voire de jalousie, en plus des réalités normales de concurrence entre d’une part, les start up ou organismes bénéficiant de financements publiques pour la recherche et les entreprises liée aux marchés de l’Etat, sauf si ce dernier change finalement d’avis par répartition du financement, et d’autre part, les entreprises liées au marché privé qui voient leur carnet de commande à zéro et obligées d’offrir des prestations pour maintenir le lien alors que d’autres augmentent le leur du fait de cette situation.
Y aura-t-il solidarité entre les chaînes de télévision privées pourtant si riches en temps normal grâce à la publicité, par rapport aux chaînes publiques disposant surtout d’un revenu fixe convoité en temps de crise. Y a-t-il également solidarité entre constructeurs et mainteneurs indépendants dans le domaine des transports notamment aéronautiques ? Les acteurs n’ayant pas agi contre le COVID seront-ils montrés du doigt et voués à l’exil, quasi impossible étant donné que toute la planète a été touchée ? Les rachats, fusion-acquisitions générées par la crise, où les victimes ne sont généralement pas sauvées mais persécutées puis évacuées pour ne conserver que la substantifique moelle, ne seront-elles pas plutôt des crises surtout familiales plus que des sauvetages ? Les comptes auront-ils été maquillés pour mieux les faire passer comme pour la Grèce, même avec un auditeur reconnu et indépendant des actionnaires ? Le rachat d’une entreprise par un fonds de capital- risque, parfois réels acteurs de politique industrielle, est-il réel sauvetage ? Doit-on fermer le dossier ou a-t-on compris que cette pépite, souvent stratégique, sera à nouveau sur le marché à terme ?
Qu’en est-il du délai de traitement et du droit des réservataires en cas de faillite d’entreprise, petite ou grande, ou stratégiquement protégée ? S’agissant de certaines crises financières personnelles, après avoir touché une somme d’argent faut-il mieux rembourser ses créanciers ou en conserver une partie pour payer une pension alimentaire et éviter toute poursuite pénale et se laisser un matelas de sécurité pour continuer à vivre normalement et continuer d’amorcer la pompe sociale ?
Les accords de partenariat, quand ils ne sont en fait plutôt parfois d’ailleurs que des accords d’achat, seront-ils maintenus ou revus alors que des aides financières ont été accordées par les Etats ?
Les mots magiques comme solidarité, sens, résilience apparaissent pour donner bonne conscience. Mais on pourra se poser la question des demandes d’aides réellement justifiées, des octrois de déplacement ou de financement trop facilités ou refusés, en face de réels besoins, pour aider les plus démunis ou ceux qui ont un écart de revenu plus élevé ? On pourra se poser la question des choix d’actions immédiats vers le peuple, les élites, les institutions, l’économie, la défense, ou l’écologie, ces deux dernières étant souvent considérées comme variables d’ajustement.
Et qu’en est-il finalement de l’éthique, ensemble des principes et fondements moraux de conduite, sur la base de règles de comportement jugées bonnes ou mauvaises, et souvent par discernement intelligent. Elle sera généralement liée à l’homme et sa faculter de penser et séparer le bon grain de l’ivraie, avec ses propres lunettes et en pleine conscience de certaines réalités, notamment du pouvoir et des dogmes. Galilée, condamné par l’inquisition, vient seulement d’être réhabilité.
Quelle éthique financière appliquer en matière de peine civile ou pénale entre les parties, notamment envers l’Etat ? Quelle vengeance privée utilisera le droit pénal pour compenser une compensation financière civile impossible ? Quelle sera l’éthique et le discernement du juge dit « de bonne foi » ou quelle médiation ou conciliation pourront-elles être proposées et acceptées ? Qui en profitera en toute puissance pour charger et tuer sans aucune meilleure solution de rechange ou pour effacer le litige de bonne grâce ?
Ethique et solidarité ne signifient-elles pas payer ses factures et ses mensualités de prêt, plutôt que conserver la trésorerie par sécurité sans partage de risque ni d’empathie dans une logique du chacun pour soi ? Parlerons-nous d’éthique ou de choix stratégiques et surtout politiques pour l’octroi de financements, a priori garantis par l’Etat ou les Institutions, qui ne pourront généralement ensuite pas être remboursés ? Parlerons-nous d’éthique ou d’empathie pour l’effacement de dette par mesures keynésiennes de circonstance plutôt que l’afficher avec courage dès le départ ? S’agira-t-il de financer ou d’assurer sans réel contrôle de solvabilité dans l’urgence et ensuite exiger un remboursement sans aménagements ? Bien entendu tout le monde pensera in fine, et sans doute à raison, que ce sont les banques, qui prêtent même aux Etats qui ne peuvent les contrôler, ou qui vous blâme de ne pas avoir réparé votre toit en été faute de financement, qui gagnent à tous les coups. Les pauvres, eux, connaissent la valeur d’une goutte d’eau, d’un paquet de farine et d’une ampoule électrique comme quand on sort d’un rationnement respecté ou non, en temps de guerre ou de famine, qui ne devraient plus être d’actualité notamment grâce aux cultures élevées dans les sous-sols à la lumière artificielle protégés des aléas terrestres. Les anciens pauvres sauront aussi parfois le rester et gérer leurs biens avec soin et sans excès, comme la Norvège, autrefois bien moins riche et désormais courtisée avec son fonds convoité.
L’éthique financière du non-profit, qui devrait exister en temps de crise sanitaire, et comme donc théoriquement aussi en tant de guerre, ne sera pas ressentie par tous de la même façon. Certains débloqueront des fonds pour prendre soin presque par altruisme et par couvage ou portage. D’autres en profiteront pour créer de dépendances, racheter les autres ou profiter des efforts de recherche pour simplement fonctionner, voire faire des profits avec les résultats de recherche financée, en remerciant même le phénomène sans pour autant l’avoir déclenché. D’autres enfin, tenteront simplement de valoriser de vieilles recettes et d’anciennes formules à moindre coût avec ou sans recherche de profit. Les laboratoires doivent-ils réclamer un retour sur investissement sur la recherche, et notamment sur les applications à effet rapide, ou mettre les solutions au profit de tous, comme le fait le CERN et désormais l’UE sur la recherche fondamentale ?
Qu’en est-il de l’éthique financière des primes versées aux personnels hospitaliers qui font leur travail avec passion mais ou oubliant de s’alimenter et de dormir. Sur quelle base doivent-elles être évaluées, de façon aléatoire pour tout le monde pour calmer une crise ou alors pour couvrir des charges calculées et réelles fixes ou variables ou pour compenser à long terme les dépenses liées aux conséquences de l’activité, ou des suites de maladies directes et indirectes ou de risques liés au métier.
Qu’en est-il de l’éthique financière des RTT désormais accordés même aux militaires pourtant corvéable théoriquement 24 h / 24 et qui touchent des indemnités de services en campagne alors qu’il s’agit plutôt d’une généralité pour la France plutôt impliquée à l’étranger. Peut-être est-ce pour éviter de prendre le butin sur le terrain comme autrefois ? Le soldat devient-il un mercenaire de l’indemnité ? Enfin, quelle éthique et solidarité engager pour les anciens combattants traumatisés et pour combien de temps ? Une médaille, également geste politique mais dont on est fier de porter et faite pour cela, et qui n’aide pas forcément à faire bouillir la marmite, ne suffirait-elle pas ? Nul besoin de choisir qui la mérite ou non quand les médailles de la défense nationale sont décernées en masse. Qu’en est-il de la solde du soldat qui est aussi là pour être utilisée afin d’acheter un matériel en urgence sans même être en guerre sous prétexte qu’il a une solde.
Les mesures en situation de crise ne doivent pas être la normalité mais peuvent l’orienter pour limiter la prochaine crise. Les solutions sortent des chapeaux mais sans forcément voir le risque à payer plus cher en cas de crise, considérant qu’il s’agit de préserver des intérêts vitaux, qu’il faut détenir coûte que coûte, lorsqu’on parvient à les définir et sauf à mieux regarder d’autres solutions ailleurs. La gouvernance de temps de crise impose des décisions exceptionnelles qui peuvent ensuite rester usuelles. Mais les gouvernances de temps de paix ou de normalité engendrent aussi des règles qu’il faut consolider.
S’agissant de l’éthique financière de la monnaie, l’euro, qui n’est pas forcément né d’une crise même si poussé par la France qui en redoutait une. Mais il provoqua ensuite une forte inflation non dite pendant sa mise en place suite au rejet des centimes à son apparition. l’Allemagne, gardienne économique de l’euro qu’elle ne voulait pas, sait se rappeler ses vieux fantômes qui l’empêchent de dormir, voire les oublier quand il s’agit de faire rentrer la dette grecque. Notons que les Etats-Unis avaient créé le D. Mark, comme avaient aussi prévu de recréer une monnaie française en 1945, pensant le pays incapable de se relever après cette crise ou désirant peut être désormais mieux le contrôler suite aux déceptions engendrées par une défaite a priori impossible et une perte de confiance dans ce pays qui les avaient à nouveau poussé à intervenir en Europe.
L’euro a ensuite sauvé bien des crises financières par mutualisation et uniformisation, avec ses avantages et ses contraintes, tout en laissant aux Etats qui ne souhaitaient pas perdre pour autant leur âme, une certaine diversité et identité symbolique, sur chaque pièce et billet. Charlemagne l’avait déjà compris avec la première monnaie européenne. Les mesures de souplesse pour le dépassement des 3% et des 60% en cas de crise doivent être généralisables mais doivent aussi finalement laisser, en période normale, une certaine ouverture fiscale pour que chaque état puisse atteindre seul ses objectifs ou disposer d’une certaine marge de manœuvre et autonomie pour ses besoins propres. On peut d’ailleurs se poser la question de la notion de financement de la dette de certains pays sauf si bien entendu il s’agit de solidarité toute chose égale et tout risque égal par ailleurs. Ou alors est-il peut-être temps de créer des sous-groupes d’économies sans discrimination mais avec des mesures adaptées pour éviter tout risque de propagation de la crise entre eux et toute rupture de membrane externe.
En matière d’éthique de solidarité financière interne européenne, il est bon de se rappeler que les Etats libres d’Allemagne, ou Länders, l’organisent entre eux depuis longtemps, avec ou sans demande de juste retour en équité ou égalité de contribution, ce que les Etats centralisés comme la France ne connaissent pas. Pourquoi l’Allemagne ne parlerait-elle par pour l’UE en bonne mère de famille européenne pour l’économie, comme la France essaie de le faire au niveau diplomatique et militaire ? Que penser du récent plan de relance européen plutôt politique que réaliste, même si les Institutions, qui savent d’ailleurs créer des fonds de secours, tentent aussi d’expliquer clairement d’où viendra a priori l’argent ? Par ailleurs, ne faudrait-il pas finalement miser sur des obligations convertibles en or, valeur refuge en temps de crise et de guerre ?
Qu’en est-il de l’éthique financière d’intégration européenne en temps de crise ? Les pays du centre européen ne sont-ils pas trop vite rentrés dans l’UE, certes après leur sortie du bloc de l’Est alors qu’ils étaient exsangues. Mais ils étaient aussi en crise et en quête de retrouver leur identité en apportant également leur propre vision de l’Europe en déplaçant aussi son centre de gravité. La réunification de l’Allemagne n’a-t-elle pas été finalement uniquement financée par elle-même sans grande solidarité sauf interne au sein du pays ? Attendait-elle un soutien ou l’a-t-elle peut-être en fait refusé par orgueil comme les Etats-Unis l’ont fait en rejet de l’art 5 de l’OTAN le 11 septembre 2001 sauf ensuite pour finalement aller guerroyer en Irak en mutualisant les frais entre coalisés pour se faire bien voir de l’ONU alors qu’ils n’ont en fait besoin de personne, contrairement à la France qui voudrait faire seule mais ne le peut financièrement plus.
S’agissant de la crise climatique, existe-t-il une éthique de financement du pacte vert sous couvert d’un dogme impossible à attaquer sous peine d’être jugé et autrefois brûlé ? Le réchauffement climatique est-il finalement une crise ou une normalité, voire une guerre avec une éthique liée à la santé et notamment celle de la planète ? Le pacte saura-t-il résister au fait que le Corona Virus a fait gagner un répit de 15 ans pour 1,5°C. Et en parlant de virus, qu’en sera-t-il si une prochaine catastrophe Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique (NRBC) survient ? L’Europe ne devrait-elle pas posséder ses centres d’excellence, même avec le risque lié à ce terme a priori intouchable, comme certains hôpitaux dans chaque grande région européenne, et surveillés par des unités armées de type Frontex qui dispose désormais d’un budget propre ?
L’art n’est pas exclu de cette liste non exhaustive. On le met volontiers à l’abri en temps de crise, non pas de peur qu’il soit détruit ou même acquis de droit, qui change souvent en temps de guerre, mais de peur d’être pris pour compenser des dettes, voire même volé pour profiter à d’autres ou être réparti entre d’autres qui n’en voient que la valeur marchande et alimentaire.
Contrairement à la guerre, la crise ne casse pas tout, même si des frontières peuvent réapparaître et si les décisions prises imposent finalement de casser. Le système financier n’était pas cassé et est vite reparti en 1929 aux Etats-Unis dès que la décision sur les 6000 banques a été prise, qui a comme quand on rase des immeubles atteints par la guerre ou délabrés par la crise. Il en a été de même avec les supprimes mais sans doute n’était-ce pas là une guerre impactant la santé des citoyens ?
Mais qu’en est-il de l’éthique financière des reconstructions ? La crise liée à l’incendie de Notre Dame bâtie avant 1905, nous rappelle que si l’Etat est son propre assureur, il peut donc décider de reconstruire ou non, dont également ses établissements publics dont industriels qui lui restent. Cela ne lui empêche pas non plus de prendre une assurance ou de l’analyser pour rendre ses personnels encore plus attentifs aux mesures de sécurité. Notre Dame était même assurable grâce à la connaissance potentielle des sommes engageables car bien des cathédrales ont été reconstruites au siècle passé. Serait-ce aussi le cas du château de Versailles jugé non assurable ? Rappelons-nous par ailleurs que la crise du 11 septembre fut un exemple d’éthique et de solidarité financière entre assureurs, qui ont pris chacun leur part sans renvoyer la faute sur l’autre sur cette crise particulière qui ensuite engendra une réelle situation de guerre ? Que doit-il en être des catastrophes naturelles telles tremblements de terre, éruptions, ouragans, inondations causées par la terre qui n’arrête pas de vivre ni de tourner même au 21° siècle avec parfois de difficiles indemnisations ? Revenant sur le dérèglement climatique, prenons aussi en compte qu’il transforme les catastrophes naturelles en événements réguliers et assurables avec leur primes liées.
La gestion de la crise peut éviter la guerre sauf quand des pays, organismes, assemblées ou des personnes cherchent à l’alimenter. La crise peut s’éteindre ou engendrer la guerre, même pour le COVID où la Chine se trouve accusée d’avoir ouvert la boite de pandore du virus. Certains rappelleront que « qui veut la paix prépare la guerre ». Mais tant que la guerre n’est pas déclarée, il s’agit d’une crise sauf quand l’adversaire ne le comprend pas, comme en 1914 entre l’Allemagne et la Russie, quand cette dernière amassa ses troupes dans l’attente, interprété par la première comme une déclaration de guerre. L’état d’urgence est peut être aussi une autre subtilité du droit entre la crise et la guerre pour faire reculer la guerre ou mieux la préparer, avec des dispositions législatives et financières propres et autonomes. Si la crise devient guerre officielle ou non, à qui va profiter le droit du sang versé au combat pour participer en tout ou partie à la reconstruction d’un pays dévasté ou le plan Marshall décidé?
Que penser de l’éthique financière de l’effort de défense d’un pays en crise, pour réarmer ou appeler à la mobilisation, lié à sa politique et souvent proportionnel à sa taille, sa puissance financière et ses alliances militaires et capacitaires. Les courses aux armements en guerre froide, qui n’est d’autre qu’une crise, peuvent détruire des empires par essoufflement en provoquant parfois certaines guerres de baroud d’honneur. Bientôt connaitrons-nous heureusement les conflits par jeux vidéo sans victimes ni dégâts ou entre robots tueurs même si déjà condamnés par certaines assemblées. Certains pays achètent aussi des armes simplement par dissuasion pour ne pas s’en servir car n’en ayant en fait pas les moyens ou s’achètent même des leurres. D’autres en profitent pour constituer une industrie de défense notamment en lien avec la souveraineté nationale et surtout en profitant de contreparties octroyées par les vendeurs dérogeant toutes les règles du commerce international.
Qu’en est-il de l’éthique financière du contrat de d’armement en période de crise et ensuite en temps de guerre, quand il faut « mettre le paquet ». Qu’en est-il des règles de coûts objectifs, livres ouverts, partage des risques, bonus et malus, qui ne sont que trop peu appliquées en temps de paix ? Les règles commerciales et de droit changent-elles en temps de guerre et avec quelles sanctions différentes, comme pour la non-exécution d’un ordre reçu ? Pourquoi avons-nous l’impression que les entreprises d’armement, pourtant contrôlées par des structures d’enquête de coûts, et qui devraient plutôt produire au juste prix et avec marges réduites pour les contrats nationaux, semblent profiter de la crise certes sur des produits qui se vendent épisodiquement ? Ne devraient-elles pas toutes se diversifier dans le civil, sauf à entretenir une tutelle de sauvegarde cloisonnée et spécifique sous couvert de souveraineté nationale qui devrait être désormais européenne ? A contrario, il est vrai que les industriels majeurs savent proposer de différer les paiements attendus de l’Etat, avec ou sans contreparties lors des périodes de défaut de paiement de l’Etat, même sans être en guerre. Ils savent aussi convenir d’arrangements de dépendance avec leurs sous-traitants, quand il ne s’agit pas de risque de cavalerie d’investissement avec une solidarité et une prise de risque souvent vite oubliées. Mais n’est-ce pas un privilège de participer à un domaine stratégique ? Enfin, si la production est une chose, la maintenance en est une autre, encore plus importante en terme de coûts, et vendue à prix d’or sous prétexte d’une fausse envolée des coûts, désormais par des contrats à long terme incluant les opérations extérieures. Et que dire de l’éthique financière des programmes en coopération de défense qui sont encore plus chers que réalisés sans et qui vivent du fait des états participants même s’ils peuvent néanmoins se dédire ? Enfin, pouvons-nous lutter éthiquement contre les Etats-Unis qui vendent à prix coutant, prêtent du matériel et même de l’argent ? Pourquoi ne pas continuer à bâtir des contrats commerciaux comme l’A400M ?
Les ventes d’armes sont tirées par les crises dans le monde, sans oublier le théâtre européen. Elles font vivre des centaines de milliers de personnes de façon directe et indirecte, tirant souvent l’économie et la recherche, dans des entreprises désormais de droit privé en France, sauf un dernier bastion dans le secteur de la maintenance aéronautique protégé coûte que coûte par un principe de sécurité, qui devrait être moins cher car garanti alors qu’il s’avère plus cher car nécessaire. En temps de paix, les ventes d’armes par les industriels français sont « interdits sauf autorisation » très contrôlée à partir de la situation risquée de chaque client et peuvent être gelés comme avec l’épisode russe, qui soulevé certaines réactions sans considération des conditions initiales. Les ventes à l’export ne sont pas seulement des succès technologiques et même financiers pour faire baisser les coûts unitaires nationaux, mais bien des actions, décisions et choix politiques. Les personnes condamnant ces activités sous le couvert de l’éthique seront souvent les mêmes qui manifesteront en cas de licenciements.
Avec quelle lunettes la France doit-elle décrypter et accepter l’éthique allemande, qui ne fait pas la guerre mais la soutient industriellement et logistiquement en solidarité et qui, en matière de vente, affiche une réserve stricte sur les atteintes aux droits de l’homme inscrite dans sa constitution et non à la carte en fonction de l’intérêt stratégique ? L’harmonisation européenne en la matière est encore à consolider mais peut-être devrait elle s’abriter sous un label uni dans la diversité, avec une éthique de base et un socle commun le plus élevé soit-il, laissant néanmoins de possibles spécificités, afin de vivre et de construire en intelligence et équilibre ? Pour revenir à la santé, ne doit-il pas en être de même pour les produits chimiques dans une certaine éthique, comme pour d’ailleurs l’innovation, dont l’éthique de financement, en parfaite connaissance des risques, devrait prendre davantage de place.