REGARDS DE PERSONNALITES SUR LE BUDGET EUROPEEN ET LES PLANS DE RELANCE NATIONAUX DONT FONDS EUROPEEN (DE R &D INDUSTRIELLE) DE DEFENSE
"Regards sur le budget de l'UE et les plans de relance nationaux et européens"
dont Fonds Européen (de R & D industrielle) de Défense
(ENG VERSION TO BECOME BELOW)
Au lendemain de l’accord tripartite sur le budget et le plan de relance européen, nous avons demandé à certaines personnalités d'horizons, de regards, d’expériences et de sensibilités diverses de nous écrire quelques lignes concernant leurs visions sur ce sujet, notamment sur les ajustements faits concernant certaines lignes, les cohérences et complémentarités avec les plans nationaux, comme également les difficultés d’y être parvenus. Restera ensuite les votes dans les différents pays, lié au plan de relance en propre pour les mises en œuvre. Ces contributions nous sont parvenues entre mi décembre 2021 avant l’accord tripartite Conseil – Commission – Parlement et mi janvier 2021.
N'engagent que leurs auteurs
Merci à :
Son Excellence Carmelo INGUANEZ, Ambassadeur de Malte en France
André-Hubert ROUSEL, Président d’ASD EUROSPACE et d’ArianeGroup
Général de Division (2S) Herve RAMEAU
Général de Division Jean-Luc FAVIER (2S)
Anne HOUTMAN, ancienne cheffe de la représentation de la Commission européenne à Paris, conseillère Spéciale I.R.C.E.
Henri MALOSSE, ancien président du Conseil Economique et Social Européen (CESE)
Marc WAUTHOZ, économiste, ancien responsable stratégique bancaire, conseiller spécial I.R.C.E.
François CHARLES, économiste, conseil en stratégie, management, intelligence, affaires européennes, président de l'I.R.C.E.
Nous sommes heureux d’être parvenus à un accord sur le budget et le plan de relance de l’UE. Pour nous, il s’agit du quatrième budget à long terme dont bénéficieront les citoyens et les entreprises de l’UE à Malte. L'utilisation des fonds européens a toujours été une réussite pour soutenir la création d'emplois, la compétitivité des entreprises, la croissance économique, le développement durable et améliorer encore la qualité de vie des citoyens. Cela malgré les défis uniques auxquels Malte est confrontée, qui sont très différents de ceux des autres États membres.
Ce budget est particulièrement important compte tenu du retrait du Royaume-Uni de l'Union et de sa contribution à une reprise qui soutienne des transitions climatiques et numériques équitables. Malte est également reconnaissante envers la présidence allemande et la Commission pour leurs efforts et leur persévérance au cours des dernières semaines pour débloquer les derniers obstacles. Nos citoyens ont un besoin urgent que le budget de l'UE 2021-2027 et le paquet de relance soient opérationnels dès que possible à partir de l'année prochaine. L'accent est désormais mis sur la mise en œuvre.
Nous sommes actuellement en train de préparer au niveau national l’identification des priorités à finaliser prochainement. Malte s’apprête à bénéficier de montants financiers substantiels de l'instrument de relance pour aider à l'effort national de redressement sous forme de subventions et de prêts.
Son Excellence Carmelo INGUANEZ, Ambassadeur de Malte en France
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L’irruption de la Covid-19 et la pandémie mondiale qui s’en est suivie ont entraîné un fort ralentissement économique et une réduction spectaculaire du commerce international.
Le secteur spatial européen n’a pas été épargné par la crise et il est notamment estimé que son impact sur les revenus de l'industrie spatiale européenne en 2020 pourrait atteindre 1,5 milliard d'euros. Cet impact affecte davantage les pays dont l'industrie est plus exposée aux marchés commerciaux et export, la France en prenant la plus grande partie, suivie par l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie. Les petits pays dont l'industrie travaille principalement sur des programmes institutionnels européens devraient être moins touchés.
C’est là tout le paradoxe auquel l’industrie spatiale est confrontée ; un sous-financement structurel du secteur par les acteurs institutionnels européens non compensé par son succès, réel, sur les marchés commerciaux et export.
En effet, sur ces dix dernières années, les marchés principaux de l’industrie spatiale européenne étaient représentés pour 58 %, par des clients institutionnels européens (Agence spatiale européenne — ESA —, Union européenne, agences nationales, ministères de la Défense) et, pour 42 %, par des clients commerciaux et/ou les exportations (c’est-à-dire les opérateurs privés et des gouvernements non européens). Là où les secteurs industriels américain, russe, chinois, japonais ou indien répondent de manière quasi exclusive à leurs besoins institutionnels nationaux respectifs, sur des marchés où la demande est qualifiée de « captive », c’est-à-dire non accessible aux industriels étrangers, les secteurs spatiaux européen et américain sont en concurrence sur les (maigres) marchés ouverts mondiaux. Il y a cependant une différence notable : en Europe, le marché institutionnel captif est 6 à 7 fois inférieur au marché captif américain. Le secteur spatial européen ne peut donc pas bénéficier des mêmes effets d’échelle, ni du même niveau de soutien pour sa R&D. Cette situation particulière de sous-financement structurel du secteur en Europe est d’ailleurs probablement aussi une des causes de son succès sur les marchés commerciaux : avec si peu de moyens, il a fallu rivaliser d’efficacité pour développer des capacités comparables à celles des États-Unis, et faire des efforts extraordinaires de compétitivité pour maintenir les positions de l’industrie spatiale européenne sur les marchés ouverts. Ainsi, sur ces dix dernières années, avec à peine 4 % de la main-d’oeuvre mondiale, l’industrie spatiale européenne a été capable de lancer 11 % de la masse totale mise en orbite. Ces prouesses européennes tendent malheureusement aujourd’hui à s’éroder, rattrapées à l’ouest par les gains d’efficacité qu’ont apportés le recours à de nouveaux acteurs privés et de nouveaux modes d’approvisionnement (Planet, SpaceX…) et à l’est par les investissements massifs du gouvernement chinois. Le net recul des investissements privés pendant la crise sanitaire renforce cette tendance.
La volonté de l’Europe de prendre des engagements financiers, à travers son plan de relance, est accueillie de façon positive par l’industrie spatiale européenne : mais plus que des capitaux, l’industrie est surtout demandeuse de grands projets ambitieux d’utilité publique à même de garantir un investissement sur le long terme des pouvoirs publics.
La crise sanitaire a mis en lumière les nombreux avantages socio-économiques que le spatial pouvait apporter au développement de l’Europe dans un certain nombre de domaines politiques (santé, environnement, sécurité, transport...). Ce n’est donc pas un hasard si la transformation digitale, et plus particulièrement le sujet de la connectivité, est aujourd’hui un thème central du plan de relance européen.
A l’heure ou la crise sanitaire a profondément changé nos habitudes personnelles et professionnelles, une bonne connexion internet est désormais la condition préalable au travail et à l’apprentissage à domicile. La revitalisation des zones rurales passe aussi par une inclusion plus systématique aux nouvelles technologies et services associés. L'industrie spatiale européenne est consciente que l'expansion de la 5G, de la 6G et de la fibre optique est une première étape pour réduire la fracture numérique. Mais le déploiement de ces nouveaux réseaux visera en priorité très probablement les grandes villes et les zones très peuplées. Il se doit donc d’être complété par une nouvelle infrastructure spatiale d’envergure permettant d’apporter des connexions performantes et sécurisées au service de toutes les entreprises et de tous les citoyens européens, et ce partout en Europe et dans le monde. Les efforts de l’Europe pour accélérer la transition vers une économie fondée sur les données ne peuvent en outre se concevoir que si l’Europe exerce un contrôle suffisant sur sa capacité d’accès et de diffusion de l’information.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen Charles Michel et le commissaire Thierry Breton se sont tous trois, au cours des dernières semaines, exprimé sur la nécessité pour l’Europe de s'appuyer sur un tel système de connectivité spatiale sûr et considéré comme fondamental à un moment où la crise sanitaire a démontré la nécessité pour l'Europe d'améliorer la résilience, la sécurité et les capacités de son infrastructure réseau globale.
Sur l’autre priorité du plan de relance européen, la transition verte, le spatial a évidemment son mot à dire : le programme Copernicus est un formidable outil de compréhension de l’environnement, et plus personne ne niera le caractère éminemment stratégique qu’a acquis ces dernières années la capacité à comprendre et à anticiper les changements qui affectent les grands systèmes naturels de la planète.
Le plan de relance européen se doit donc d’être le vecteur des ambitions européennes pour répondre à ses défis sociétaux (transports, environnement, sécurité, digital…) et pour générer de la croissance économique. En ce sens, le secteur spatial européen peut être un véritable partenaire de choix pour l’Europe et ses Etats membres. En retour, la mise en place de projets ambitieux viendra témoigner du soutien continu et renforcé à la "demande" de services fournis par des infrastructures spatiales et ainsi participer à la mise en valeur, la résilience, la compétitivité et la fiabilité de son industrie spatiale européenne.
André-Hubert ROUSEL, Président d’ASD EUROSPACE et d’ArianeGroup
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La crise sanitaire a finalement durement éprouvé la dotation dont devait bénéficier le fond européen de la défense, outil nouvellement créé pour soutenir et orienter la recherche de défense et certaines acquisitions conjointes au sein de l'Union européenne. D'un montant initial de 13 milliards d'euros pour la période 2021-2027, ce fond ne bénéficiera finalement que de 8 milliards d'euros.
Quelles conclusions en tirer? Quelles conséquences sur les avancées d'une défense européenne qui peine à émerger ? Un regard assez large sur la question permet de relativiser le pessimisme qui ressort naturellement d'une lecture de ces chiffres au premier degré, tout en révélant l'écart qui sépare l'Union européenne d'une véritable prise en compte de ses enjeux de défense.
Peut-être faut-il tout d'abord rappeler que cette réduction vient abonder le plan de relance que l'Union européenne a établi pour faire face à la crise sanitaire et économique, sans précédent depuis la grande dépression des années 30. Il ne s'agit donc pas d'une baisse d'ambition, mais d'une situation conjoncturelle. Or, ce plan de relance viendra épauler les pays de l'UE les plus touchés par cette crise, lesquels vont ventiler ces aides dans les secteurs économiques qui leurs paraîtront le mieux soutenir l'appareil productif, l'emploi, et la recherche et développement. Si l'on prend le cas de la France, on constate que le secteur de La Défense n'est pas oublié dans le dispositif, avec l'avancement de livraisons de matériels, et le lancement de programmes qui s'accompagnent de phases de recherche et développement. Bien que le calcul soit difficile à réaliser avec précision, il n'est pas exclu que le cumul des dépenses d'acquisitions et de recherche de défense qui seront financés dans l'ensemble de l'UE par les différends plans de relance dépasseront les 5 milliards d'euros de réduction du FED. Certes, ce ne sera pas sous la bannière d'une sélection opérée par l'UE selon des critères répondant à des objectifs stratégiques d'une Europe de La Défense, mais le secteur pris dans son ensemble ne souffrira pas d'une baisse des investissements envisagés.
Ce constat n'est que la partie émergée des aspects positifs du plan de relance européen. En effet, ce plan est en réalité le fruit d'une véritable révolution politique au sein de l'union. Qui aurait pu prédire quelques mois avant la crise sanitaire que les pays de l'UE s'accorderaient sur un modèle de solidarité aussi ambitieux ? Ambitieux par le montant, mais plus encore ambitieux par les mécanismes d'endettement commun que les 27 ont accepté, et pour lesquels il y a fort à parier qu'ils seront dorénavant inscrits dans les gênes du développement de l'UE. Or, c'est ainsi que progressera l'idée d'une défense européenne, car le ciment d'une défense commune repose avant tout sur le niveau de solidarité consenti entre les états, et conséquemment par leurs citoyens.
Pour aller encore au-delà de ce constat, rappelons que ce plan ne s'est pas imposé sans difficulté. En effet, les pays « frugaux » s'y sont d'abord opposés, fidèles à leurs réserves à l'égard d'une Europe du « club med ». Et c'est à ce stade que l'on descend d'une strate supplémentaire dans la partie immergée de l'iceberg. Si ces pays n'ont pas pu s'opposer à ce plan, c'est que leurs « poids » relatifs n'étaient pas politiquement suffisants pour qu'ils s'imposent. Ils ont certes obtenu quelques garanties relatives à la surveillance des dépenses effectuées par les états bénéficiaires du plan de relance, mais n'ont pas pu remettre en cause la philosophie générale basée sur la mutualisation de la dette et la solidarité. Or, cette faiblesse tient au Brexit. En effet, il est presque certain que la Grande Bretagne n'aurait pas souscrit à cette révolution, et qu'en sa présence, les « frugaux » auraient eu gain de cause. Si le Brexit est indéniablement une moins-value économique sur le cours terme pour l'ensemble des pays européens, il est en revanche une plus-value politique pour une Union européenne qui sera dorénavant dans une meilleure configuration pour se construire politiquement.
Ainsi, si la diminution des fonds alloués au FED peut apparaître au premier degré comme un nouveau coup porté à l'Europe de la défense, si le Brexit peut apparaître au premier degré comme un affaiblissement de l'Union européenne, si la pandémie peut apparaître au premier degré comme source d'une crise mondiale sans précédent, la combinaison de ces trois facteurs peut également être perçue comme une opportunité d'affirmation d'une Europe puissance que les 27 ont su toucher du doigt en la circonstance.
Pour finir, et sans aborder les questions d'emploi de la force, il parait nécessaire de s'interroger sur les contenus capacitaires dont devrait disposer une Europe de La Défense pour être militairement crédible. En effet, le FED est sensé financer des acquisitions et orienter la recherche en vue de disposer des technologies et équipements permettant d'atteindre cet objectif. Dans un contexte de « retour de la force » marqué par l'émergence et la ré-émergence de puissances alliant les volumes de forces, la haute technologie, et tout le spectre des modes d'action, il s'agit de disposer des savoir-faire et des capacités nécessaires pour s'imposer dans des conflits sophistiqués de haute intensité. Or, les différentiateurs stratégiques dans ce type d'affrontement exigeront l'acquisition de la supériorité spatiale, indispensable pour disposer de la supériorité informationnelle et de ses corollaires en matière de renseignement, de défense anti balistique, de maîtrise du combat collaboratif connecté ainsi que des champs offensifs et défensifs du milieu cybernétique. Et ceci n'est pas exhaustif. A l'évidence, vu les lacunes actuelles, il faudrait des décennies d'investissements lourds dans la recherche et les acquisitions - sans commune mesure avec les 13 milliards initialement prévus dans le FED - pour que l'Union européenne puisse atteindre cet objectif. La conséquence est que la protection des États Unis restera durablement une nécessité.
La création du nouvel instrument qu'est le FED, petitement doté et se rajoutant à des outils et structures mis en place au gré des conjonctures, sans réelle vision d'ensemble, révèle en fait à quel point les 27 sont encore très loin de se concevoir comme une entité de puissance diplomatique et militaire. Souhaitons que l'Europe n'ait pas à vivre cette déficience dans sa chair avant que le temps n'ait fait son œuvre. Mais l'histoire a montré à quel point l'Union européenne ne progresse que dans les crises, ce que la situation actuelle a de nouveau révélé.
Général de Division (2S) Herve RAMEAU
L’espace européen et sa sécurité : un nouveau « désert des tartares » ?
Période paradoxale que la nôtre, qui voit d’un côté l’Union européenne se féliciter, à juste titre, de l’adoption du premier budget du fonds européen de la défense…et, « en même temps », tout un espace de relative prospérité comme pétrifié d’angoisse et d’impuissance face aux incertitudes liées aux menaces de toute sorte, incapable de s’exprimer et d’agir, bref, d’être respecté, sur la scène internationale.
Le premier événement (l’adoption du FED) est passé presque inaperçu, comme imperceptible sur les écrans radar d’une actualité autant folle qu’anxiogène. C’est sans doute parce que, comme beaucoup de nos sociétés occidentales minées par une forme de fuite en avant, propre aux ambiances de fin du monde, l’Union européenne souffre depuis longtemps d’une maladie sournoise que certains esprits chagrins dénomment « perte de sens ». En tout cas, personne semble-t-il n’est encore parvenu à proposer une réponse claire à une question pourtant autant essentielle que simple : que doit-on défendre et pourquoi est-on prêt à mourir ?
Jugeons-en plutôt. L’Union s’est, en théorie, dotée des moyens devant, en principe, lui permettre d’exister sur la scène internationale. Cet objectif devrait apparaître dans toute sa priorité, alors que l’onde choc du Brexit aurait dû, logiquement, conduire à une remise à plat et à l’émergence de nouveaux paradigmes. Las, l’illusion et le malentendu « atlantistes » perdurent : la France, après avoir longtemps caressé l’espoir d’un axe franco-britannique, moteur d’une Europe de la défense autonome, a évidemment déchanté, au point, c’est du moins ce que disent et déplorent certains gaullistes nostalgiques, de se mettre imprudemment la « corde au cou », en rejoignant les structures militaires intégrées de l’OTAN, espérant (sans y croire ?) faire évoluer l’Alliance de l’intérieur. Ce faisant, le Royaume Uni a, une fois de plus, choisi le « grand large », quand le Don Quichotte français prétendait encore s’évertuer à porter les ambitions d’une Europe autonome, voire « souveraine », en matière de sécurité et de défense. Suprême cruauté, le Brexit ne clarifie rien, puisque, très récemment, la ministre allemande de la défense a vite douché les espoirs français, d’une remise « sur le tapis » de la question d’une réelle capacité européenne en matière de défense.
Or, malgré quelques apparentes velléités, l’actuelle UE veut-elle et peut-elle être réellement un espace protégé, écouté et respecté, pesant sur la scène internationale ? Rien n’est moins sûr. Ce que les eurocrates donnent le sentiment de vouloir absolument protéger, c’est le…business. La sécurité et la protection des populations, sans être vraiment négligées, semblent vouées à passer « après » et leurs promoteurs et acteurs à essayer de rattraper, autant que faire se peut, le ou les « coup(s) de retard », sans réelle capacité d’anticipation : cela vaut pour la coopération policière et judiciaire, comme pour le périmètre « défense ».
« On » croit en effet se prémunir contre d’éventuelles mauvaises surprises, en payant une forme d’assurance fournie par une OTAN plus ronronnante que jamais, mais « en même temps », et alors que l’UE dispose, en théorie, des éléments d’information et d’une capacité d’analyse stratégique autonome, elle ne semble ni capable ni encore moins désireuse d’exploiter ces éléments : c’est bien connu, moins on décide, moins on prend le risque de se tromper.
Pire, tandis que, confrontés à l’angoisse de lendemains qui chantent de moins en moins, de nombreux Etats membres sont secoués par les spasmes d’une crise identitaire, Bruxelles semble comme hors-sol, ou à tout le moins incapable de fixer d’horizon clair, tiraillée qu’elle est, entre nouvelles pourtant encourageantes et entêtement idéologique. Au rang des nouvelles encourageantes précisément, figure l’adoption de l’enveloppe budgétaire du fonds européen de la défense, à hauteur de près de huit milliards d’euros. Ce fonds vise, en théorie, à encourager et à soutenir les projets de coopération industrielle du périmètre « défense », de 2021 à 2027. Si l’on considère que la bouteille est à moitié pleine, on conclura qu’il s’agit là d’une grande première et d’une avancée majeure : du reste, Thierry BRETON et l’eurodéputé François-Xavier BELLAMY, dans une belle unanimité, sont sur cette ligne…ils sont tous deux français et ce n’est pas non plus un hasard. Mais on peut aussi considérer que le résultat final est très en-deçà des ambitions initiales (près de 14 milliards) et que l’accouchement, très difficile, résulte d’un âpre marchandage avec certains Etats-membres, obnubilés par leur proximité géographique avec la Russie et peu enclins à encourager les tentatives d’émancipation européenne par rapport à « l’ombrelle » atlantiste et, surtout, américaine.
Car en réalité, et nous l’avons déjà un peu abordé, beaucoup, pour ne pas dire l’essentiel, dépend de la façon dont les différentes menaces sont identifiées, appréhendées et prises en compte dans un effort partagé et concerté, dans le cadre d’une ligne politique et stratégique clairement définie et exprimée. Or, en la matière, les égoïsmes nationaux, parfois sous fond d’aveuglement idéologique, constituent durablement un obstacle majeur à l’émergence d’une conscience et d’une identité à la fois politique et stratégique.
Au moment où la France était frappée par la vague d’attentats terroristes que nous savons, et à part les témoignages de sympathie, y eut-il dans les actes une prise en compte réelle et ambitieuse des enjeux liés à la menace islamiste ? Poser la question, hélas, c’est souvent y répondre. Est-il raisonnable, intellectuellement et politiquement satisfaisant, et tout simplement juste, que les efforts militaires et budgétaires français au Sahel soient si peu considérés, l’Allemagne, comme d’autres Etats-membres, campant sur leur stricte orthodoxie budgétaire et leur refus, qui en découle, de voir les dépenses françaises exclues de critères « comptables » qui, au regard des périls du moment, semblent pourtant hors d’âge ? On pourra certes objecter que d’autres militaires européens ont rejoint le Sahel, et que certains Etats membres engagent une partie de leurs moyens : ce ne sont pourtant pas quelques contingents symboliques qui pourront faire croire à un effort collectif et partagé qui, jusqu’à présent, repose exclusivement sur Paris, qui en paie le prix fort.
La même perplexité est de mise lorsque l’on considère la question migratoire. Au moment où le fonds européen de la défense voyait le jour au terme d’une interminable gestation, l’UE finalise le règlement européen sur l’asile et les migrations. On voudrait alimenter l’euroscepticisme et les angoisses identitaires d’une partie de plus en plus importante de l’électorat européen, que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Mais la démographie allemande et les besoins de son industrie en main d’œuvre étant ce qu’ils sont…c’est du moins, dans ce que d’aucuns pourront qualifier de raccourci facile, ce que l’on entend et lit de plus en plus fréquemment. Tout, hélas, n’est sans doute pas faux.
« Cerise sur le gâteau », si l’on peut dire, qui à elle seule caractérise l’impuissance et l’absence de stratégie (comme de solidarité) européenne en matière de sécurité et de défense : le psychodrame turc. Il aura fallu de nombreuses semaines pour que Paris obtienne, suite aux insultes du sultan d’Ankara, un timide soutien de l’Union (bien tempéré par Berlin, soucieux de ménager son importante communauté turcophone). Quant à l’impécunieuse Grèce, qui a compris qu’elle ne pourrait compter que sur elle-même, elle a par la force des choses décidé de sacrifier son système de santé pour pouvoir augmenter ses crédits militaires !
La construction européenne n’a jamais été et ne sera sans doute jamais un « lit de roses ». Mais la période actuelle ne permet plus de s’accommoder de contradictions et de non-dits qui ne peuvent que se traduire par des conséquences dramatiques. S’agissant des questions de défense, et de l’articulation possible entre l’OTAN et une éventuelle capacité européenne autonome, il est plus que temps d’essayer enfin d’y voir un peu plus clair et, peut-être, de trancher le nœud gordien. Mais Bruxelles et les Etats-membres le veulent-ils ? La machine paraît s’emballer dans une forme de fuite en avant : l’incapacité de l’Europe à maîtriser ses flux migratoires est telle qu’elle semble préférer se mettre la tête sur le billot en organisant elle-même en la matière un ordre juridique contraignant et en allant à l’encontre des craintes identitaires d’opinions publiques de plus en plus déboussolées. La Turquie d’Erdogan continue quant à elle de pousser ses pions et de tirer, en tout cas sur le court terme, les bénéfices d’une stratégie autant dangereuse qu’aventureuse, que favorise nos propres lâchetés. C’est souvent au pied du mur que se révèlent les grandes civilisations. A supposer qu’il existe une civilisation européenne, il nous appartient donc de dire et surtout de montrer ce que nous voulons défendre, au risque, à un crépuscule dont nul ne peut prédire le moment, de voir, comme le commandant DROGO, surgir l’ennemi, annonciateur de la fin d’un monde.
Certains eurobéats pourront s’estimer fondés à dire que l’Europe se dote, à son rythme, des moyens d’exister à terme en tant que puissance. En 1940, l’armée française disposait d’équipements qui parfois surclassaient ceux de son ennemi : il manquait seulement la volonté de les utiliser, adossée à une doctrine et à une stratégie à la hauteur des enjeux. Il est grand temps de se réveiller et de ne pas interdire à ceux qui voudraient avancer, de le faire, au besoin en exhumant le concept d’Europe à géométrie variable.
Général de Division (2S) Jean-Luc FAVIER
Déclaration du Conseil européen des 10 et 11 décembre sur le mécanisme de conditionnalité du budget: capitulation ou victoire?
Après quatre longues semaines de négociation, la Hongrie et la Pologne ont finalement levé ce vendredi 10 décembre le véto qui bloquait l’approbation du paquet budgétaire européen, en particulier ses trois éléments qui exigent l’unanimité, à savoir, le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 doté de 1 074,3 milliards d’euros, l’effort de relance « Next Generation Europe » (NGEU) doté de 750 milliards d’euros et la décision sur les ressources propres. Le prix à payer par les 25 autres Etats membres: une déclaration interprétative sur le futur règlement dit « de conditionnalité » qui permettra de suspendre les versements au titre du budget de l’UE ou du Plan de relance lorsque des violations de l’état de droit par l’Etat membre destinataire empêchent ou risquent d’empêcher la bonne gestion financière des fonds européens.
Ce mécanisme de conditionnalité au respect de l’état de droit suscite en effet la colère des gouvernements hongrois et polonais mis en minorité par une majorité qualifiée d’Etats membres permettant son approbation dans les jours qui viennent. Suite à l’accord qualifié d’ « historique » entre Parlement et Conseil sur le CFP et NGEU, ces deux Etats membres ont donc mis leur menace à exécution. Certains diront que le chantage a abouti car la déclaration aura sans doute pour effet de retarder de deux ans la possibilité pour la Commission d’appliquer les sanctions prévues par le règlement et pourrait en rendre l’application un peu plus difficile. En effet, dans l’hypothèse probable où la Hongrie saisirait la Cour de Justice contre le règlement, elle obligerait la Commission à attendre le jugement avant de publier les lignes directrices qu’elle a l’intention de développer sur la manière d’appliquer ce règlement. En revanche, elle ne fait largement que répéter des éléments du règlement sans en modifier une ligne et en cas de recours, l’attente du jugement est une prudence presqu’obligée. La saga aura donc surtout révélé la dérive effrayante de deux Etats membres loin des valeurs fondamentales de l’Union.
Anne HOUTMAN, ancienne cheffe de la représentation de la Commission européenne à Paris, conseillère Spéciale I.R.C.E.
Un Plan de Relance Européen en Trompe l’œil
A la veille d’un Sommet européen (9-11 Décembre 2020) qu’on présente déjà comme « celui de la dernière chance » , attardons nous un peu sur le Plan de relance européen NextGenerationEU ». Disons tout de suite que le plan de relance porte bien son nom : ce sera à la Next génération de le financer. On compare parfois le plan européen post Covid à un « Plan Marshall ». Rien n’est moins sûr : Le Plan « Marshall » américain de l'après-guerre, encore dans toutes nos mémoires, avait deux qualités : il était simple et rapide. Nous sommes loin du modèle : le plan de Bruxelles ne suffira pas à la relance. Il est complexe et long. Pourtant, la Covid nous oblige à redresser l'activité économique, sociale et politique au plus vite. Un grand élan qui transcende les territoires, les langues et les peuples européens est indispensable : voilà une énorme opportunité d'activer enfin la créativité de tous les citoyens européens en instaurant un mécanisme de débat dans tous les organes publics, scolaires et économiques du continent. Sans implication personnelle du citoyen dans l'Europe, les pays retardataires de la croissance ne seront pas au rendez-vous ultime du remboursement du premier emprunt européen en 2058 et l'Union, créée en 1958, pourrait disparaître pour son centenaire. L'histoire jugera nos générations à leur capacité à se doter d'un processus de démocratie vraiment participative pour se réinventer tous ensemble.
Un Imbroglio compliqué :
En fondant le plan de relance dans les procédures budgétaires de l'Union Européenne, la Commission européenne a cherché la cohérence, mais fait perdre le fil à tout acteur qui n'a pas des années de pratique de Bruxelles. Elle a surtout noué un imbroglio qui n’a pas fini de se dénouer et se renouer devant nous. Le Parlement européen a en effet insisté et obtenu une clause selon laquelle l’Europe pourrait bloquer toute aide aux pays qui ne respecteraient pas l’Etat de Droit, provoquant un véto immédiat de la Pologne, de la Hongrie et de la Slovénie qui se sont sentis visés. De surcroît, on n’a pas toujours trouvé les ressources supplémentaires pour financer à la fois le budget européen classique et le Plan de relance ! De nouvelles ressources sont encore à chercher. La Commission européenne, pour boucler son budget, a proposé en effet de nouvelles taxes, mais elles font loin de faire l’unanimité.
Deux budgets en Un : Le pré-accord de juillet 2020 portait non pas sur un, mais sur deux budgets distincts. Il convient en effet de dissocier le budget annuel de l'Union du plan de relance spécifique au post Covid :
- Le budget annuel de l'Union européenne est décidé pour sept ans. Le Cadre financier pluriannuel 2012-2017 fixe un montant total de 1 074 Milliards d'Euros pour la période, soit en moyenne 153 milliards d'Euros par an. A titre de comparaison, le budget du seul Etat français en 2020 est de 380 milliards d'Euros (pour seulement 250 milliards de recettes). Les moyens de l'Union restent donc bien limités.
- Le plan de relance post Covid est d'un montant de 750 Milliards d'Euros. Intitulé Next génération EU, il prévoit 360 milliards d'Euros de prêts, 312,5 milliards de subventions et 77,5 milliards de réallocation de lignes budgétaires déjà existantes dans le projet financier pluriannuel préparé par la Commission.. Pour le financer, les 27 Etats membres ont décidé de s'endetter en commun. Avant de lever un tel emprunt, la Commission européenne devra y être autorisée par l'ensemble des parlements nationaux.
De l’argent encore à trouver : Même sur la base du compromis de Juillet 2020, il manque encore au moins 300 milliards de recettes pour boucler le budget du Plan de relance et le Budget pluriannuel 2021-2027. Le Brexit est passé par là avec 15% de recettes budgétaires en moins. Mais ce n’est pas tout : lors des négociations Marathon de juillet 2020, on a dû lâcher du lest pour les frugaux : maintenir ou élargir les rabais pour l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l’Autriche qui ne payaient déjà qu’un quart de leur part au regard de la règle instituant la cotisation des pays en proportion de leur PIB. Le manque à gagner est en centaines de milliards d’Euros. On a même accepté de payer les Pays-Bas et la Belgique pour qu’ils collectent dans leurs port respectifs les droits de douanes européens, ou ce qu’il en reste. Encore quelques centaines de millions d’Euros perdus. Le budget de l’UE ne peut être en déficit. Il faut donc trouver de nouvelles recettes. Une taxe sur les déchets plastiques est introduite au 1er janvier 2021. Mais son rapport est très loin du compte : elle devrait rapporter entre 5 et 7 milliards d’euros par an au maximum. La Commission européenne a lancé plusieurs pistes comme une Taxe « carbone » sur les transports polluants, une Taxe « carbone « sur les produits importés ne respectant pas les normes de l’UE, une taxe sur les GAFA, la taxe sur les transactions financières. Mais aucune de ces solutions ne fait l’unanimité or c’est bien d’unanimité que le Conseil de l’Union a besoin pour les adopter. Donc il n’est pas certain qu’on pourra compenser le déficit. Il faudra donc faire des coupes budgétaires ou transférer des aides vers des prêts.
Des premières coupes surprenantes : En Juillet 2021, les 27 ont déjà coupé dans le vif du plan de relance, avec notamment d’une part la Suppression pure et simple de la rubrique « santé » , d’autre part la réduction de plus de moitié de la rallonge pour les fonds pour le développement rural et surtout pour la recherche-développement et enfin la division par 6 des crédits destinés aux entreprises dans le cadre de l’initiative Invest in EU (il ne reste plus que 5,6 milliards sur les 30 milliards prévus). Ce dispositif ingénieux visait à aider les start-ups européennes à grandir et rester en Europe. Les montants prévus sont désormais très insuffisants par rapport aux besoins de relance d’activité post Covid et dans la perspective pour l’Europe de retrouver une souveraineté économique en relocalisant certaines productions majeures.
Un plan européen, qui n’en est pas un : le plan de relance européen n’est pas vraiment un plan européen puisqu’il consiste à financer les plans nationaux. Les aides de Next Generation EU ont déjà été réparties pays par pays. Les 40 milliards attribués à la France lui serviront à financer en partie son propre plan de relance de 100 milliards : Chaque pays choisit seul ses orientations car les priorités définies par l’UE sont vagues : les projets doivent contribuer à la résilience globale du pays, ne peuvent être contradictoires avec l’objectif de transition écologique et doivent comporter une part d’investissements dans l’économie verte et le digital. On voit mal comment de nombreux acteurs impactés par le confinement, comme les petits hôteliers et restaurateurs pourront répondre à ces exigences. Chaque Etat bénéficiaire devra présenter à la Commission européenne ses plans pour recevoir les financements, sous forme de subventions ou de ligne de crédits . Ils seront d’abord soumis à un Comité d’Experts, puis à la Commission européenne et enfin aux états qui devront les adopter à la majorité qualifiée. Mais une forme de droit de veto existe aussi puisqu’un seul Etat Membre peut faire suspendre le versement des aides s’il estime qu’un pays bénéficiaire a outrepassé les orientations définies dans le plan. Cette disposition a été introduite pour satisfaire les pays dits « frugaux » comme l’Autriche ou les Pays-Bas, je dirais plutôt les « Grincheux ». De plus, en présentant les Plans, les états devront expliquer ce qu’il font pour appliquer les orientations économiques et budgétaires de la Commission européenne pour se conformer aux critères rigoureux de rigueur. On voit bien que cette disposition va obliger les Etats très endettés comme l’Italie, la France, ou la Grèce de faire des coupes budgétaires dans leurs dépenses (Retraites, sécurité sociale..) s’ils veulent recevoir leur argent
De l’argent qui n’est pas prêt d’arriver : une fois le budget du Plan de relance, une loi sera présentée dans chacun des Parlements nationaux des 27 afin d’autoriser la Commission européenne de lever un emprunt. On peut s’attendre à des difficultés auprès des pays dits « frugaux », mais aussi de la part de l’Allemagne ! Cela pourra prendre encore quelques mois. Le plan européen va ainsi financer des programmes nationaux dans l'ensemble des Etats membres, sous forme de subventions (390 milliards d'euros) et de prêts (360 milliards d'euros). Chaque pays peut ainsi compter sur une enveloppe partiellement prédéfinie, et qui dépend notamment de sa population, de son PIB par habitant et de son taux de chômage avant le début de la pandémie, de 2015 à 2019 (les 30 % restants versés en 2023 dépendront quant à eux des baisses du PIB et de l'emploi observées sur 2020, pour tenir compte de l'impact économique de l'épidémie de coronavirus). Ainsi, la France devrait recevoir environ 40 milliards euros pour alimenter son plan de relance. Baptisé "France Relance" et présenté le 3 septembre par le Premier ministre Jean Castex, celui-ci sera doté de 100 milliards d'euros. Il doit financer 70 mesures réparties en 3 piliers : transition écologique, compétitivité et innovation, cohésion sociale et territoriale. La Commission européenne ne pourra lever d'emprunt et verser les premières subventions aux Etats membres qu'une fois que les parlements nationaux l'auront autorisée à le faire. Les parlements nationaux – et régionaux dans certains cas - doivent effectivement autoriser l'Union européenne à relever son plafond de ressources, afin qu'elle puisse emprunter en ayant une garantie suffisante. Au-delà des difficultés techniques et politiques, le délai est court puisque les ratifications similaires prennent en moyenne 13 mois. Les dirigeants européens gardent aussi en mémoire le rejet en 2016 du traité commercial avec le Canada (CETA) par l'un des 39 parlements consultés, celui de la région wallonne. Il s’agira ensuite de présenter et validation des plans nationaux par le Conseil. (Avec la possibilité d’un recours d’un Etat Membre). Il y a bien déjà six mois de retard avec les délais provoqués par les péripéties de la négociation budgétaire.
On pourrait espérer au mieux les premiers versements au début de l’année 2022 de 70 % du plan et les 30% restant en 2023/2024. Ce n’est qu’en 2028 que l’emprunt européen commencerait à être remboursé.
Le Plan de relance, une relance de l’Europe ? Rien n’est moins sûr. Les 750 milliards de Next génération EU sont financés par un emprunt communautaire plus de cent fois plus élevé que le plus grand à ce jour : tout un symbole ! Pour rembourser l'emprunt européen, le principe d'une augmentation des cotisations des états membres est envisagé, qui pourrait passer à 1,8% du Revenu National Brut, alors qu'il n'est que de 1,23% actuellement. Mais la portée historique est à relativiser, car les cinq pays dits « frugaux », Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède et Finlande, sont peu intéressés par le plan car leur PIB est moins touché par la pandémie. Ils n'ont pas accepté une augmentation de leur écot et ont obtenu un rabais alors qu'ils profitaient déjà de remises. Les principaux bénéficiaires, comme l'Italie et l'Espagne, ont accepté une augmentation de leur cotisation en échange d'une grosse augmentation de l'aide qu'ils vont percevoir. La France, qui cherchait un accord à tout prix, est la seule à avoir accepté une augmentation de sa cotisation. En contrepartie, pas d'avantages sur l'octroi des aides puisqu'elle ne percevra que 40 milliards, soit l'équivalent de sa part habituelle dans le financement de l'Europe. Elle est donc la principale perdante de la négociation, a fortiori si son RNB/PIB s'affaissait plus qu'annoncé par le gouvernement pour l'instant, ce qui est malheureusement probable. Le remboursement de cet emprunt, prévu au plus tard le 31 décembre 2058, pourrait bien s'avérer douloureux pour les états qui cotisent le plus alors que leurs économies, mais aussi pour leurs finances publiques sont déjà les plus en difficulté. Si l'obstacle devenait insurmontable pour eux, les pays du Nord accepteraient-ils de les secourir ?
Avec le prolongement de la crise du COVID19, on voit bien que ce plan, s’il voit le jour, sera bien tardif, bien insuffisant, bien lent et bien compliqué. Mais le principal danger est ailleurs. Ce Plan et ses modalités de mise en œuvre souligne la fracture qui ne fait que se creuser en Europe entre d’une part des pays bien portant, peu touchés par le COVID19 et ses conséquences (les frugaux et l’Allemagne), des pays en situation financière difficile, très touchés par le COVID19, d’autre part essentiellement l’Europe du Sud et la Belgique, groupe dont la France fait clairement partie, et enfin l’Europe orientale et centrale qui fait de plus en plus bande à part. Plus la crise se prolonge et s’aggrave, plus cette fracture se fait béante, au point de se demander s’il n’est déjà pas trop tard !
Henri MALOSSE, ancien président du Conseil Economique et Social Européen
Sommet européen 10 et 11 décembre 2020 : la relance
Le Plan de Relance qui vient d’être décidé par les Chefs d’Etats et de Gouvernements marque un énorme pas en avant dans la construction et la conception même de notre Union européenne. A bien des égards, parce qu’il est financé par un emprunt commun, c’est une première ; parce qu’il cible les pays les plus touchés par la pandémie Covid-19, sur base de faits précis et de dégâts, et non sur la base d’une répartition qui suit une clé « technocratique » plus ou moins égalitaire et marchandée péniblement ; parce qu’il pose les jalons d’une construction plus fédérale et donc moins strictement associative, plus solidaire, plus proche des attentes des gens ; et enfin parce que pour la première fois cet accord budgétaire établit un lien, certes imparfait et qui devra être confirmé par la Cour européenne de Justice, entre le respect de l’Etat de droit, vaste et sensible sujet, et les subventions. Il s’agit de l’accès aux programmes, aux subsides, aux aides européennes qui seront désormais soumises au respect de valeurs fondamentales que sont l’indépendance de la Justice, la liberté de la presse, le droit syndical et les obligations d’éducation des jeunes comme du respect des droits des plus âgés.
Nous parlons de montants très importants qui s’ajoutent à différentes sommes déjà décidées, hors des budgets de fonctionnement et hors des soutiens voulus et planifiés par la Banque Centrale européenne. L’accord porte sur un plan de relance de 750 milliards d’euros et le budget « extraordinaire » pour la période 2021 – 2027 qui couvre pour l’essentiel (1.074 milliards €) des programmes de recherches et d’investissements transnationaux.
Nous pourrions penser que chaque pays aurait pu de son côté en faire autant, mais la crise sanitaire a rappelé que le « chacun chez lui et chacun pour lui » ne peut faire face aux défis majeurs. La difficulté de s’entendre au niveau de l’Europe provient d’une 3ème dimension : à la distinction entre le « législatif » et l’«exécutif » que nous maîtrisons tous, s’ajoute ce troisième niveau décisionnel que j’appellerai le « validatif ». Chacun des 27 Etats de l’Union doit rapporter les décisions européennes majeures devant son propre Parlement en vue d’une ratification formelle dans un délai imparti. Il faut que chaque Chef d’Etat et/ou de Gouvernement s’engage, envers ses 26 collègues, à ratifier ce qu’ils ont décidé et accepté ensemble. Le traité de Lisbonne est formel : un seul pays peut bloquer tous les autres. Cette fois-ci c’était la Pologne et la Hongrie qui avaient jeté leurs vétos, mais l’histoire est truffée de ces vétos de tel ou tel pays, pour des sujets pas toujours dignes des enjeux. Chaque pays connaît les va-et-vient entre le gouvernement et son parlement, sauf qu’ici il s’agit d’un ménage à 3 : la Commission Européenne est l’exécutif : chaque Commissaire est présenté par son gouvernement, il est investi pour 5 ans après un vote du Parlement européen. Le Parlement européen est le législatif. Les députés sont élus au suffrage universel tous les 5 ans suivant les règles démocratiques de chaque pays. Enfin apparaît cette instance « validative » : les Sommets européens. Généralement 2 par semestre, suivant des présidences tournantes : nous terminons la Présidence allemande, puis ce sera le Portugal, ensuite la Slovénie et après nous aurons le tour de la France, de janvier à juin 2022. Pourquoi faire simple … l’efficacité n’y gagne rien.
Mon commentaire ne portera pas sur les conséquences de l’accord européen qui a validé ce budget de programmation 2021 – 2027, ni sur la portée très significative du Plan de relance. Vos journaux et magazines seront pleins de commentaires et d’analyses, dès lors que leurs journalistes voudront bien ne plus se focaliser exclusivement sur la crise sanitaire, les masques, les vaccins, ou ce que tel ou tel homme politique aurait pu faire de plus ou de mieux.Ce qui retient mon attention c’est ce qui a permis une telle avancée, un tel développement. Car selon moi c’est d’un changement de braquet qu’il s’agit.
La nouvelle équipe (Von der Leyen : Commission, Sassoli : Parlement, Michel : Conseil des Ministres) a revu la méthode et elle fut capable de tirer profit de l’actualité fébrile et des soutiens financiers rendus nécessaires, pour avancer vers plus d’Europe et mieux d’Europe. Pour la première fois, l’Europe, deuxième puissance économique mondiale et détentrice de tant de valeurs, d’expériences (bonnes ou mauvaises), d’histoires (sanglantes ou héroïques) a accepté de quitter son modèle de simple association, sur les bases molles du gentil volontariat, pour se donner les moyens d’un fédéralisme sélectif, utile et acceptable par tous. La crise sanitaire et financière qui pourrait en découler, ne peut se contenter de calculs mesquins en vue de petits profits très égoïstes. Pourquoi une telle pagaille lors des (dé-)confinements, des achats mal coordonnés de masques ou de vaccins, des incohérences et des ratés dans les aéroports ? Chaque pays a décidé souverainement sans aucune concertation : il n’y a que les virus qui passent les frontières. Comme le fit jadis le nuage de Tchernobyl … Pourquoi dans le coûteux domaine de notre défense, les armes, les avions et les blindés ne sont-ils pas les mêmes dans toute l’Europe, ou au moins compatibles ? Chaque pays d’Europe décide séparément, d’acheter le plus souvent de l’américain. Quant à la fiscalité des grandes multinationales, nous sommes tous perdants, voire même « pigeons ».
Je vois 3 bonnes raisons à la réussite de ce Sommet refondateur :
1 – La rigueur et la préparation de la Présidence allemande.
Nous savons à l’I.R.C.E., pour y avoir été associés, à quel point l’Allemagne a bien préparé les sujets et les contenus que ce pays voulait aborder durant ses 6 mois de Présidence. L’économique, le social, le fiscal, tout fut anticipé et travaillé avec profondeur et méthode durant plus de 2 ans. Même les sujets les plus délicats, dont ceux de la mondialisation sauvage ou la définition des assiettes fiscales, alors que la seule base européenne ne paraît pas suffisante. L’O.C.D.E., intégrée judicieusement, fit un travail remarquable et parfaitement coordonné, finalement saboté par le Président Trump. Mais un tel travail n’est jamais perdu, bien au contraire. Les sujets reviendront très certainement et très vite sur le devant de la scène au bénéfice de tous et de l’équité. Nous sortions de quelques présidences européennes étroites et mercantiles, l’Allemagne a remis du cœur et de la raison à l’ouvrage. Mille mercis. La France continuera certainement le boulot, dans 12 mois.
2 – Sans les britanniques, tout redevient plus simple.
Depuis 47 ans il n’était guère possible de s’écarter des sujets strictement commerciaux et du chacun pour soi. Surtout rien ou presque ne fut possible pour une mise en commun de moyens et d’objectifs pour ne plus être à la remorque des super-puissances. L’idéal et l’enthousiasme, qui marquèrent les 16 premières années de la vie du projet européen, s’engluèrent lentement dans les réalités d’un grand machin fait de petits commerces. Souvenons-nous de cette citation de Lord Palmerston, Premier Ministre sous la Reine Victoria : « l’Angleterre n’a pas d’amis, ni d’ennemis ; elle n’a que des intérêts permanents ». Il n’y eut donc rien de neuf sous le soleil de Bruxelles, un siècle et demi plus tard. A certains moments il faut avoir le courage de partager, de mettre en commun, de renoncer à certaines particularités ou spécificités pour dessiner un projet commun. Vouloir être la place financière incontournable de la deuxième monnaie la plus traitée au monde – l’Euro – sans en partager la vie, l’usage, la règlementation et les aléas ne peut pas être une situation pérenne. Il en fut de même pour l’harmonisation des poids et des mesures, décidée mais laissée sans suite : marche arrière, toute. Idem des accords Commonwealth, du Common Law et des arbitrages, de la part prise aux décisions de la Cour de Justice mais pas de ses jugements, des accords de Schengen, etc... Pour reprendre de l’altitude il peut être sain de lâcher du lest.
3 – La Banque Centrale Européenne découvre la planche à billets.
Depuis décembre 1971 et la fin des accords de Bretton Woods, les USA nous disent que le « dollar est leur monnaie mais notre problème ». Les Etats-Unis se refinancent chez nous et au Japon (le taux d’épargne des américains est très minime), auprès de nos fonds d’investissements et des grandes entreprises, à très bon compte. Le déficit public américain de la seule année 2020 est supérieur à 100 ans de déficit français : 3.000 milliards de $.La Federal Reserve Bank accepte, contrôle, et donne des leçons. La Banque Centrale japonaise – le déficit public du Japon dépasse les 240 % du P.I.B. – a inventé le « Quantitative Easing » il y a 20 ans. Quel beau nom pour de la dette non couverte, de la planche à billets. La patate chaude ne sera pas honorée par leurs enfants : le taux de fécondité y est de 1.36 versus 1.55 en Europe et 1.84 en France. Nous avons raison d’être sérieux, mais non frugaux, en matière d’endettement. Dans une économie ouverte et très (trop ?) mondialisée il faut rester réaliste et compétitif. Je ne vous parle pas du Yuan, car nous n’en savons rien. Ou plutôt rien de vérifiable. Depuis 5 siècles et sir Thomas Gresham, nous savons que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Sans tomber dans la facilité, il faut donc tenir compte de notre environnement et ne pas nous rendre ridicules avec des critères d’endettement tels ceux édictés par le traité de Maastricht qui limitaient l’endettement d’un pays à 60 % de son P.I.B. En se gardant de financer n’importe quoi, car les conséquences sont catastrophiques, nous veillerons à bien distinguer les déficits dus à la consommation ou aux coûts de fonctionnement, des bons déficits résultant de solides investissements, porteurs d’avenir. C’est ce que le sommet européen des 10 et 11 décembre semble avoir réussi. Le plan de relance post-Covid (750 milliards €), veut cibler des investissements qui permettront de récupérer des capacités de production, et de reconstruire sur des bases solides ce que la pandémie a fragilisé. Il s’agira aussi d’accélérer les transformations nécessaires pour mieux assurer l’avenir, en ne pensant surtout pas qu’il s’agissait d’une crise simplement exceptionnelle et strictement conjoncturelle. Quant aux 1.074 milliards € du budget extraordinaire 2021 – 2027, rabotés de 350 milliards à la demande des pays dits frugaux (Pays-Bas en tête), couverts par un endettement solidaire des 27, nous savons qu’il s’en dégage 2 lignes d’actions prioritaires :
- Le Green Deal : l’Europe veut accélérer la décarbonation de nos économies malgré des résistances, contournées, de la Pologne. C’est un investissement appelé durable, dont la rentabilité à tous points de vue est prouvée à moyen terme. La Commission annonce un objectif de moins 55% des émissions de carbone avant la fin 2030. C’est encore plus ambitieux que les engagements de l’Accord de Paris - COP 21. Ce programme inclut naturellement des normes précises et du contrôle aux frontières de l’Union.
- Le rattrapage numérique : l’Europe est à la traîne en matière de numérisation, de digitalisation, de l’intelligence artificielle, du Big-data et de ses applications. Le plan d’investissement de 145 milliards d’euros, annoncé la semaine dernière par 13 des principaux pays européens sous l’impulsion du Commissaire au Marché Intérieur Thierry Breton en est une magnifique illustration. Il s’agit de remettre l’Europe dans la course, puis à la pointe en matière de « puces », d’électronique, de semi-conducteurs et de leurs applications. L’Europe pèse actuellement moins de 10 % du marché de la conception et des fabrications, alors que nous importons l’essentiel de nos matériaux, de nos logiciels et de nos applications.
Marc Wauthoz, économiste, ancien responsable stratégique bancaire, conseiller spécial I.R.C.E.
Regard sur les mesures budgétaires européennes, nationales et territoriales de sortie de crise (Partie 1/2)
La fumée blanche du futur budget et du plan de relance européen, le plus vaste plan de mesures jamais adopté par les institutions, est enfin arrivée pour sa mise en place en 2021 pour une Europe plus verte, numérique et résiliente, avec un succès revendiqué de la présidence allemande du Conseil dont c’était une des priorités. Reste désormais faire approuver ces mesures dans tous les Etats membres, conformément à leur règle constitutionnelle. Rajoutés aux mesures propres nationales et territoriales, ces chiffres donnent un peu le vertige mais justifient des actions nécessaires qui devront néanmoins être pilotées avec soin pour garder confiance.
Par François CHARLES
Economiste, conseil en stratégie, management, intelligence économique et affaires européennes. Président de l’I.R.C.E.
Article également publié dans le Journal de Palais, hebdomadaire économique de Bourgogne Franche-Comté
Le cadre financier, ou budget pluriannuel européen 2021-2027, qui fixe les montants pouvant être dépensés pour financer les politiques annoncées, est le plus ambitieux décidé même avec le départ du Royaume-Uni. Pourtant, avec 1074 milliards d’euros, il ne représentera toujours qu’un peu plus de 1% des richesses des Etats-membres. A comparer aux Etats-Unis on peut comprendre les différences et puissances d’actions mais il reste en accord avec la politique décidée pour l’instant par les Etats. Reprenant les terme de la Commission, plus de 50 % du montant soutiendra la modernisation, notamment par la recherche et l’innovation, avec le nouveau programme Horizon Europe, les transitions climatique et numérique équitables par l'intermédiaire du Fonds pour une transition juste et du programme pour une Europe numérique, la préparation, la reprise et la résilience et un nouveau programme dans le domaine de la santé. En outre, le train de mesures accorde une attention particulière à la modernisation des politiques traditionnelles de cohésion et agricole commune afin d’optimiser leur contribution aux priorités de l’Union et la lutte contre le changement climatique, en y consacrant 30 % des fonds de l’UE, soit la part du budget européen la plus élevée jamais enregistrée pour la protection de la biodiversité et à l’égalité hommes-femmes. Notons enfin la baisse du montant prévu pour la défense et la sécurité dans le cadre du budget du fonds de (recherche et de développement industriel) de défense, traditionelle variable d’ajustement passant de 13 à 8 Md€. Le financement du budget général continuera à être assurée par les droits de douane, les contributions de TVA et celles sur le revenu national brut, auquel vient s’ajouter un nouvel outil lié aux déchets d’emballage en plastique non recyclés.
Un instrument complémentaire et temporaire de relance semi libéral keynésien et quasi plan Marshall sans aide étasunienne baptisé « Next Generation » de 750 milliards d’euros, d’initiative franco-allemande, y a été rajouté pour une négociation globale opportune. Avec autant de subventions que de prêts, il doit viser les régions et secteurs les plus touchés par la crise notamment pour une Europe de l’après-COVID-19 plus verte, plus numérique, plus résiliente et mieux adaptée aux défis actuels et à venir. Notons que 70% des subventions seront engagées en 2021 et 2022, le reste avant la 31 déc. 2023 et avec des paiements différents par pays en fonction de l’impact observé de la crise, avant le 31 déc. 2026. Les fonds mobilisés pour Next Generation EU seront investis d’une part pour soutenir les États membres en matière d'investissements et de réformes, notamment dans les transitions écologique et numérique à travers 672,5 G€ dont la moitié de prêts, plus 55 G€ de la politique de cohésion plus un renforcement du fonds européen agricole), d’autre part en faveur de la cohésion et des territoires de l’Europe à travers 47,5 Mds via REACT-EU à destination du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds social européen (FSE) et du Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). Enfin, Next Generation EU apportera également des fonds supplémentaires à d’autres programmes ou fonds européens tels que le programme de recherche et de développement Horizon 2020 (5 Md€), le programme InvestEU (5,6 Md€) par effet de levier pour attirer des investissements, le développement rural (7,5 Md€) ou le Fonds pour une transition juste (FTJ) (10 Md€) et la protection civile et les opérations d’aide humanitaire extérieure rescUE (1,9 Md€)
L’originalité réside aussi dans d’utilisation de la force des institutions regroupant les Etats, telle une grande centrale d’achat, utilisée également pour les marchés du vaccin, permettra d’emprunter sur les marchés de façon plus favorable que si chaque pays l’avait fait individuellement, dans la logique de l’euro, et redistribuera les montants mais après validation du principe par chaque état-membre.
En plus d’un budget propre dédié à la crise, chaque pays a élaboré son plan de relance lié au socle européen avec différentes priorités et choix. Ils ont été transmis aux institutions comme pour l’attribution des aides régionales avec possibilité d’aller emprunter sur les marchés mais avec remboursement commun entre pays sur tout ou partie du plan européen. C’est une sorte de similitude avec le Mécanisme Européen de Stabilité mis en place après les Subprimes. Sauf que cette fois, l’UE elle-même s’est endettée pour éviter de fragiliser les dettes souveraines de chaque pays et de parler de mutualisation de dette, expression non acceptée par certains pays dont l’Allemagne.
La France affiche l’objectif de retrouver le niveau de 2019, avec un effet effacé dès 2025 grâce à un équilibre par l’offre et l’investissement plutôt que focalisé sur la trésorerie, comme en 2008-2010, qui a limité la baisse des investissements et des faillites, mais a couté plus aux finances publiques qu’il n’a rapporté. Il s’agit d’un équilibre entre toutes les entreprises dont un quart pour les PME et un équilibre sur les territoires. Elle prévoit un plan de 100 Md€ sur plusieurs années avec des aides diverses allant des subventions non remboursables, aux prêts et garanties comprenant environ 40 Md€ attendus de l’emprunt de la Commission européenne. Il est toutefois quatre fois plus élevé qu’en 2008, avec 30% sur l’écologie, 35 % sur le plan industriel et le développement d’activité à valeur ajoutée et 35 % pour la cohésion et la lutte contre les inégalités. Notons la forte mobilisation de BPIFrance chargée de mobiliser 2,5 G€ pour les actions d’innovation, de modernisation, de développement, cela en plus des 470 G€ d’euros mobilisés pour les entreprises.
Le plan d'accompagnement des entreprises, petites et grandes en passant par les start-ups, prévoit des subventions de plus d'un milliard d'euros pour la création (fonds de roulement et d’investissements), 1,2 milliards d'euros de financements non-remboursables, 300 millions d'euros en subventions à l'entrepreneuriat et pour la digitalisation ainsi que 410 millions d'euros sous forme de subventions et de mesures de financement dans le secteur agricole. À cela s'ajoute un programme d'investissement public dans des secteurs clés tels l’infrastructure des transports, l’agriculture, l’énergie, la santé, l’environnement, l’éducation. Un budget estimé à plus de 184 milliards d'euros, pour la période 2020-2030 est mis en place pour développer les nouvelles technologies, le plan hydrogène, les lignes de chemin de fer, le fret, la filière recyclage, les biotechnologies, la rénovation thermique notamment pour les services publics. Une partie des 136 millions d’euros du volet « cybersécurité » devrait échoir aux collectivités territoriales et rajoutons 500 Mn€ pour l’espace. Notons la baisse attendue des impôts de production pour les entreprises, avec donc de la trésorerie et un essai d’ajustement avec l’Allemagne qui produit à moins de 30% avec ses PME et donc de la trésorerie, comme pour le CICE, ainsi que des allocations de rentrée scolaire, comme en Allemagne.
Il se rajoute à un fonds de solidarité focalisé sur les pertes de trésorerie, comme en 2008 avec des secteurs et conditions d’éligibilité évolutives au cours des mois, pour un montant fin février de 17 816,84 M€ pour 1 976 439 entreprises surtout en île de France, réparti en 5,4 G€ dans l’hébergement et la restauration, 2,5 G€ dans le commerce, 1,5 dans les activités spécialisées techniques et scientifiques, 1,2 dans l’arts le spectacles et les activités récréatives, 1,2 dans les autres activités de service, 889,5 M€ ans la construction, 778,6 M€ dans les services administratifs, 610 dans l’enseignement et 520,3 M€ dans la santé humaine et l’action sociale.
Le Gouvernement communique également sur la baisse de 10 milliards des Impôts de production, la réduction de 50% de la CVAE avec suppression de la part régionale, la baisse du plafond de 3 à 2% de la contribution écologique, la réduction de 50% dès 2021 des taxes foncières, la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’action exceptionnelle et inédite sur la formation et l’emploi des jeunes avec 4000 aides à l’embauche et 200 000 formations supplémentaires sur la santé et la transition écologique, la continuation sur l’apprentissage avec 16% en 2019, la volonté d’intéressement pour les salariés des PME.
Le plan allemand est également historique pour ce pays et parait à la fois un peu plus ambitieux mais est différent car inclut le fonds de solidarité. Avec 130 milliards répartis d’une part en 50 Md€ pour investir dans les transports, le numérique, la santé, la filière hydrogène et la voiture électrique et d’autre part en 80 Md€ pour le soutien aux ménages (300 € par enfant) et aux entreprises avec une baisse de TVA pour taux standards (19 à 16) et réduits (7 à 5) jusqu’en fin 2020, soit un manque à gagner à l’Etat mais qui peut vivre sur ses richesses acquises. Environ 24 G€ seront reversés par l’UE. L’Italie dépasse tous les records avec 223 G€ mais avec une redistribution de 65 G€, double de la France. Les redistributions par l’UE, en fonction de la population, du PIB et du taux de chômage, iront également d’environ 60 G€ pour l’Espagne, 23 pour la Pologne, 16 pour la Grèce, 13 pour la Roumanie et le Portugal 13, les autres étant en dessous de 10.
Dans les territoires, la Région Bourgogne Franche-Comté, en adéquation dans ses limites de responsabilité, a mis en place un « plan d’accélération » de 435 Mn€ avec 102 mesures pour créer de l’activité et soutenir l’emploi dont 237 M€ pour l’écologie. Il englobe un sous-plan de « reprise » notamment sur l’économie de proximité et l’industrie du futur avec notamment les projets hydrogènes, d’un plan de « relance » notamment pour la relocalisation, le renforcement du haut de bilan des entreprise et d’un plan « d’urgence » surtout tourné vers le tourisme et l’événementiel, en complément du plan de l’ADEME avec le fonds économie circulaire, le fonds chaleur, le fonds décarbonation entre autres thématiques. Tout cela vient en plus de celui de l’état et de l’Europe dont elle est responsable d’une partie de la mise en œuvre des 105 M€ lui revenant pour accompagner les projets.
Il conviendra de rapprocher cette avalanche de chiffres et d’actions aux autres mesures déjà prises auparavant au niveau institutionnel (voir article précédent) dès l’apparition de la crise et à certaines réalités dont certains constats à terme mériteront certaines décisions, sans doute non moins courageuses avec ou sans baguette magique, notamment sur le financement et les modes de remboursements prévus pour parler plutôt de stratégie et de tactique à la fois sur les flammes et le coupe-feu avec également un pilotage et un contrôle sérieux d’actions réalistes, réalisables et déterminées dans le temps avec une certaine prise de conscience collective pour éviter tout gaspillage, plutôt que de coups politiques.
(Suite à venir sur l'analyse)
Article de FC paru également dans le journal du Palais de Bourgogne Franche Comté