" Objectifs et réalités du Pacte Vert, entre politique industrielle et lutte contre le changement climatique" : Tribunes et Contributions
Dans le cadre de nos publications, nous invitons un certain nombre de personnalités membres ou en dehors, de bien vouloir s'exprimer sur des sujets variés en lien avec les dynamiques européennes dont nationales et internationales, qui n'engagent que leurs auteurs
Nous vous livrons ici certaines contributions sur " Objectifs et réalités du Pacte Vert, entre politique industrielle et lutte contre le changement climatique"
En avance d'autres contributions à venir,
Merci à Anne HOUTMAN, Ancienne Conseillère principale Energie de la Commission européenne, membre et conseiller spécial énergie et Europe de l'I.R.C.E.
Le rapport spécial du GIEC sur un réchauffement planétaire de 1.5°C a montré l’absolue nécessité et l’urgence d’agir pour atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2050. En réponse, le Pacte vert pour l’Europe publié en décembre 2019 propose une stratégie de croissance verte, pour mettre l’économie et la société européenne sur une voie durable et faire de l’Europe le premier continent à zéro-émissions nettes de gaz à effets de serre en 2050. Un objectif intermédiaire de 55% nets d’émissions a été fixé pour 2030.
Le défi est énorme: la transformation proposée touche tous les domaines d’activité et tous les acteurs, y compris nos comportements individuels. L’énergie (75% de nos émissions) est clairement une priorité, en particulier dans la mobilité, le bâtiment et la production industrielle mais tous les domaines sont concernés, y compris l’agriculture. Au-delà du climat, la stratégie vise aussi tout le patrimoine naturel de l’Europe. Le Pacte Vert comporte une importante dimension sociale, avec un Mécanisme pour une Transition Juste, et un indispensable volet international. Enfin les technologies numériques joueront un rôle important, à la fois pour les objectifs climatiques et le succès de la politique industrielle.
Les investissements nécessaires seront considérables: la Commission estime à environ 350 milliards d’euros les investissements annuels supplémentaires nécessaires jusqu’à 2030 par rapport à la décennie précédente. Ils devront venir prioritairement du secteur privé, avec en soutien, des budgets nationaux et européens renforcés suite à la crise de la Covid-19 par le Plan de Relance de l’économie. Au total, ce sont environ 550 milliards d’euros - représentant 30% de la somme des 1074,3 milliards du Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027 et des 750 milliards de NextGenerationEU - que le budget européen consacrera à la lutte contre le changement climatique. L’initiative européenne en faveur de la Finance Durable contribuera aussi fortement à réorienter les capitaux vers des investissements « verts ».
Des propositions sont attendues d’ici l’été 2021 pour actualiser tout le cadre législatif en matière de climat et d’énergie. Depuis le renforcement du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) et une nouvelle répartition des efforts entre les Etats membres dans les activités non-couvertes par le SEQE, jusqu’aux règles relatives aux renouvelables, à l’efficacité énergétique, aux émissions des véhicules routiers, à l’utilisation et au changement d’affectation des terres et à la foresterie, en passant pas la taxation des produits énergétiques, tous les textes devront être revus pour en relever les ambitions.
En matière d’énergie et de transport, plusieurs documents ont déjà été mis sur la table par la Commission pour proposer des stratégies sectorielles de décarbonation. Il s’agit en premier lieu de promouvoir un Système Energétique Intégré, plus efficace, plus propre et circulaire, planifié et opéré comme un tout, avec des flux bi-directionnels entre producteurs et consommateurs. L’Hydrogène Vert y jouera un rôle essentiel dans les secteurs dont la décarbonation est à la fois urgente et difficile à obtenir, tels que certaines industries lourdes (acier, ciment,…) ou les transports lourds (rail ou maritime). La Stratégie sur le Renouvelable Offshore vise à maintenir le leadership européen dans ce secteur tandis que celle relative au Méthane donne des pistes pour atténuer ces émissions qui sont, après le CO2, la deuxième cause du changement climatique. Avec une Vague de Rénovations, la Commission propose de rénover d’ici à 2030, 35 millions de bâtiments inefficaces sur le plan énergétique, une action qui contribue à la fois à la création d’emplois, au bien-être, à la santé et à la lutte contre la précarité énergétique, et représente une opportunité unique pour le secteur de la construction qui devrait aussi développer des produits durables. L’initiative s’accompagne d’un nouvel engagement dans l’outil ELENA (European Local Energy Assistance) et bénéficie d’un fort soutien de la BEI. Enfin la révision des règles pour les infrastructures d’énergie trans-frontières (RTE-E) permettra de les aligner sur les objectifs du Pacte vert et la Stratégie pour une Mobilité Durable et Intelligente soutiendra les efforts nécessaires dans ce secteur.
On peut parler à propos du Pacte Vert d’une véritable politique industrielle tournée vers une industrie durable. L’industrie est en effet doublement concernée: elle doit à la fois apporter les nouvelles technologies et produits nécessaires - véhicules électriques, éoliennes, batteries, hydrogène vert, réseaux et bâtiments intelligents, etc - et se transformer elle-même dans sa façon de concevoir les produits et de les produire, en minimisant l’utilisation de matières premières, dans une logique d’Economie Circulaire.
En fixant des objectifs climatiques à long terme, des trajectoires pour y parvenir et un cadre juridique stable (règles de marché, numérique ou normes), l’action européenne donne aux investisseurs la visibilité dont ils ont besoin pour réduire leurs risques et éviter autant que possible un lock-in dans des choix non durables. Vu l’expérience positive des Alliances Industrielles lancées ces dernières années (pour les batteries, les plastics ou la microélectronique), de nouvelles alliances ont été ou seront lancées dans d’autres domaines: sur l’hydrogène (juillet 2020), sur les matières premières (octobre 2020), sur les données industrielles et le cloud (début 2021) et les industries à faibles émissions de carbone. L’idée est de développer des écosystèmes industriels européens où tous les acteurs concernés - petites et grandes entreprises, fournisseurs et clients, universités et centres de recherche, les institutions européennes, nationales ou régionales ainsi que les organisations concernées de la société civile - puissent unir leurs forces pour faire du défi climatique une opportunité de nouvelle autonomie stratégique et de leadership industriel et numérique européen.
Outre la Nouvelle Stratégie Industrielle pour l’Europe et le Plan d’Action pour l’Economie Circulaire, des stratégies sectorielles ont également été adoptées sur la Durabilité des Produits Chimiques, sur les Matières Premières Critiques, ainsi qu’une proposition de règlement pour des Batteries Durables sur l’ensemble de leur cycle de vie. D’autres sont attendues dans le domaine des déchets, des industries intensives en énergie ou pour soutenir une sidérurgie bas-carbone. Enfin la Commission est en train de revoir les règles de concurrence, aussi bien de l’antitrust que des aides d’Etat pour les adapter aux objectifs du Pacte Vert.
La transition requiert aussi des efforts importants de recherche et d’innovation qui seront soutenus par le programme Horizon Europe. Elle comporte des risques nombreux inhérents aux nouvelles technologies et aux incertitudes du marché, en matière de demande et de concurrence internationale. Un Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) devrait être proposé d’ici l’été pour lutter contre les fuites de carbone (délocalisations) et les importations d’émissions, en contribuant à des règles du jeu plus équitables en matière de coûts des émissions entre produits européens et produits importés, tout en exerçant une pression pour la réduction des émissions chez nos partenaires commerciaux.
L’Europe avait inventé il y a longtemps déjà la notion de croissance verte et cette idée se répand dans le monde. Le Pacte vert va lui donner de nouvelles ailes en fondant sur son objectif de durabilité une nouvelle politique industrielle et une souveraineté européenne. Ce Pacte n’est donc sans doute pas « entre » climat et industrie; il montre au contraire les interdépendances entre ces deux politiques et cherche à les intégrer le plus harmonieusement possible.
Anne HOUTMAN, Ancienne Conseillère principale Energie de la Commission européenne, membre et conseiller spécial énergie et Europe de l'I.R.C.E.