Les Alsace-Lorraine ukrainiennes
Même avec une ligne de démarcation en mouvance ne s’arretant pas à leur frontière, quatre régions ukrainiennes viennent de passer sous la nationalité russe, comme l’a été la Crimée en 2014 au plus grand mépris du droit international pour les uns et en toute légitimité pour d’autres. Profitant de cette possible meilleure solution de rechange, sans forcément être en position de force pour négocier, Vladimir Poutine demande désormais le cessez le feu bien entendu désormais refusé par l’Ukraine qui regagne du terrain, au risque d’une réponse graduée et possible dévastatrice de la Russie. Que deviendront ces territoires que l’on peut comparer avec les régions françaises annexées en 1870 puis en 1940, convoitées depuis le 15°s et qui furent le début de ravages européens et mpondiaux ? Quelle négociation en faire et qu’est-il risqué ou non de dire sous peine d’être accusé de sympathie à l’agresseur ? L’équilibre diplomatique est difficile entre l’encouragement de victoire, la condamnation des actions et la recherche de paix.
Par François CHARLES
Economiste, politologue, sociologue, conseil en stratégie, management et affaires européennes, Président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe (IRCE).
Après avoir défié et contribué à unifier l’Allemagne, Napoléon III et la France vaincus ont du concéder l’Alsace et une partie de la Lorraine, suivant la ligne de front et sans respecter les frontières des départements, soit 1,7 millions d’habitants et 2,6% du territoire national, (re)devenant propriété commune de tous les Etats allemands unis au sein de l’empire. Les Français qui le désiraient pouvaient quitter le territoire avant octobre 1872. Ces mêmes régions étaient aussi convoitées par les ducs valois de Bourgogne pour tenter notamment de reformer la Lotharingie héritée de Charlemagne, en prenant au passage certaines villes allemandes.
La « revanche » de 1914 ne devait pas durer plus de 3 mois mais la trop grande confiance et l’impréparation l’ont poussée à 4 ans avec un feu qui dura beaucoup plus longtemps dans le reste de l’Europe. Ces territoires semblaient si importants que même l’assassin de Jaures, fervent défenseur de la paix, n’a même pas été condamné.
En 1918, l’armée allemande est rentrée chez elle sous les acclamations et sans avoir le sentiment d’avoir perdu, avec un soit disant poignard dans le dos alors qu’elle reculait en permanence en grave situation d’approvisionnement et sans que le territoire allemand n’ait été atteint et dévasté. Les alliés étant rentrés ensuite sur la rive gauche du Rhin pour activer le paiement qui tardait à arriver alors que la France avait été saignée en dommages de guerre en 1871 et avait payé rubis sur l’ongle. Bien que la ligne de front n’avait pas reconquis tous les territoires d’Alsace et de Lorraine à la fin des combats de 1918, les anciennes frontières révolutionnaires sont revenues. Par contre, les populations plutôt germanophone sans forcément être allemandes, ont été réintégrées au territoire français d’un coup de crayon et sans concertation alors qu’elles commençaient à se plaire avec une gestion allemande, réclamant du coup certains aménagements en vigueur encore aujourd’hui. Le Reich a une fois de plus annexé ces territoires en 1940 pour les rendre sans conditions en 1945.
Les problématiques des minorités sont encore vivaces dans de nombreux pays d’Europe et sont notamment un des critères d’adhésion à l’UE. Certains faits n’ont pas ou peu été résolus concernant notamment la langue ou pratiquer sa culture. La France a été confrontée à ce genre de revendications locales et les a assez bien gérées.
Bien entendu, tout le monde s’accordera pour dire que V. Poutine d’une part n’aurait jamais du aider les séparatistes de façon camouflée puis aurait du prendre une autre méthode pour condamner les violations des accords de Minsk. Les Russes ne se moquent pas des sanctions mais confondent celles faites prinipalement vers des personnes et celles en retour sur des biens de consommation. Ils s’insurgent contre une discrimination de sanctions que ne connaissent pas les Etats-Unis. Il faut aussi reconnaitre que l’Ukraine aurait pu être davantage dévastée, mais à quoi bon sachant qu’il aurait fallu le reconstruire, ce qui peut l’être actuellement considérant que les Russes ont échoué. V. Poutine récolte désormais un mécontentement international généralisé en s’enfermant dans un triangle maudit comme l’étaient auparavant certains pays bannis.
Souvenons-nous que depuis 2014, l’Ukraine tentait d’attirer l’attention sur la guerre permanente dans les territoires séparatistes alors que des accords permanents ou temporaires avaient été conclus, conservant les régions dans le pays et donc la légalité des frontières. La situation s’enlisant dans le Dombass, V. Poutine aurait pu tranquillement s’installer dans les régions séparées depuis 2014, dont il reconnait donc les frontières, sans réactions sauf quelques protestations. Bien entendu l’Ukraine restante aurait pu alors passer à l’UE qui pourtant voulait attendre au départ la réintégration de tout le pays et à l’OTAN. Désirant cette fois tout le gâteau, il n’avait pas prévu ces revers militaires, ni ce soutien occidental qui n’était pas venu en Géorgie, comme de certaines populations russophones et risque cette fois de n’avoir que des miettes, voire seulement les parts de 2014, en organisant des référendums à la hâte pour tenter de cristalliser les territoires « conquis ».
Les Ukrainiens et leur Président capitalisent sur leur bravoure et leur résistance avec des opérations de séduction désormais étonnantes pour sensibiliser cette fois-ci les opinions publiques et influencer les gouvernements qui ont déjà bien collaboré sans encore tomber dans une certaine escalade. Connaissant sans doute l’histoire géorgienne, les Ukrainiens savent qu’ils ne sont rien sans la communauté internationale qui veut désormais la paix avec des sommes astronomiques déjà dépensées mai si possible d’un étouffement russe, en attente sans doute de compensations au moins du côté étasunien, avec une Turquie médiatrice oeuvrant sur tous les tableaux. Ils savent aussi que leur adhésion à l’UE ou à l’OTAN ne sera a priori pas possible tant que le pays sera en guerre, ce qui signifierait une réaction militaire automatique et cherchent à aller le plus loin possible dans la reconquête, comme en 1918, voire avant un possible cessez le feu avec une ligne de front qui coupe deux des quatre régions. Désormais habitués à la guerre, Ils savent aussi rentrer dans leur pays plutôt que rester dans les pays d’accueil.
Par comparaison aux territoires franco-allemands, les frontières mouvantes n’ont pas encore été fixées par les Russes qui n’osent sans doute pas réagir nucléairement à une aggression de peur d’une dévastation, si toutefois ils rentrent dans ces considérations au-delà de simplement vouloir récupérer la maison commune qui a été détachée suite à d’anciens petits arrangements et cadeaux entre amis sur les frontières de l’Ukraine. Ils devront enfin faire le deuil de Kiev, mère des villes de Russie.
L’Ukraine pourra peut-être retrouver un jour tous ses anciens territoires juridiques mais sans doute avec conditions et sans représailles avec un grand pardon. En admettant que les territoires ukrainiens soient rétrocédés avec le respect cette fois des accords de Minsk, voire désormais aménagés, les Russes pourront-ils rentrer en vainqueur de cette soi-disant opération spéciale, comme en 1918 pour éviter de lâcher leurs bombes en représaille ? Même si les Ukrainiens s’y opposent, mais avec une population russophone non dévastée et non retournée, la Crimée doit sans doute être traitée à part avec une gestion particulière comme une sorte de Meilleure Solution de Rechange (Mesore) pour V. Poutine, pourquoi pas comme un pays autonome mais difficile car rattachée même si un pont peut être rapidement détruit ?
Les alliés pourront aussi établir un coupe feu sur la ligne de front mais la démocratie ukrainienne l’acceptera-t-elle également ?
Si la situation est dangereuse, il ne s’agit pas d’avoir peur mais que diront les apprentis chefs de guerre institutionnels quand V. Poutine aura lancé sa première bombe tactique ou stratégique, déclenchant sans doute une troisième guerre mondiale comme cela est écrit car on sait bien maintenant qu’il peut ne pas avoir de limites et sombrer avec son navire galvanisé sans notion de coût pour son pays comme certains officiels et influenceurs le croient en appliquant leur propre mode de pensée.