Bouclier antimissile européen : objectifs, réalités et solutions constructives
La Russie avait perdu pied avec la guerre des étoiles. Sera-t-elle essoufflée par le bouclier antimissile européen pour protéger les frontières de l’OTAN, de l’Europe, voire de l’Ukraine pour ses besoins immédiats et à terme, voire en laboratoire pour les autres, contre toute autre forme de menace et de risque. Reste que les discussions d’acquisition voire de partenariat doivent être analysées avec réalisme et de façon constructive pour ne pas faire le jeu de la Russie, voire d’autres pays tiers, avec un couple franco-allemand qui cherche à rester dans une certaine dynamique unie dans la diversité.
Par François CHARLES
Economiste, expert défense, armement, relations européennes et internationales, ancien responsable politique industrielle européenne à la DGA, président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe
La France, pourvoyeuse d’idées et qui a souvent raison se retrouve une fois de plus isolée dans ce projet pourtant protecteur, mot souvent employé par Emmanuel Macron. Sauf qu’une fois de plus, les Allemands savent utiliser la prise de judo pour avancer et construire avec les autres. Si le moteur franco-allemand parait essentiel pour tout le monde, peut-être finalement en terme de filtre d’idées, voire de répartition entre parties chaudes et froides dépendantes du moteur, le terme de couple peut-être aussi employé pour certains sujets, avec le jeu du « sans toi » ou « tu as bien vu comme j’ai essayé » en laissant l’autre travailler séparément sans forcément rompre les liens. En continuant d’utiliser les sciences sociales, essayons de penser autrement sans blâmer, en comprenant sans juger, voire sans oser imaginer pourquoi certaines décisions ont été prises, rappelant que de nombreux projets ont été faits en communs puis d’autres non mais si possible en concurrence intelligente et interopérabilité. Comme dirait un industriel européen, la France et ses industriels ne peuvent pas toujours gagner et doivent analyser les réalités pour remporter d’autres matchs.
Si tout était possible pour la France après guerre en terme de leadership, notamment avec l’Allemagne, ce n’est plus le cas désormais. Certains anciens dirigeants d’une entreprise européenne dite modèle et non forcément française, ne compren(ai)ent même pas pourquoi les Allemands pouvaient s’opposer à certaines exportations, comme on les voit désormais contester des décisions de justice européennes. Quand au côté frugal, rien ne sert de se mettre en froid avec un état puissant économiquement, comme il l’est également dans le monde des affaires.
Comme dans de très nombreux domaines, le projet de bouclier européen de défense antiaérienne et antimissile "European Sky Shield Initiative" (ESSI), a une fois de plus fait apparaitre qu’en Europe nous retrouvons la France, l’Allemagne et les autres Etats, souvent finalement avec cette dernière, en plus avec une Pologne qui relève la tête notamment grâce aux fonds européens sans toutefois penser fortement solidarité, un des mots vedette du Général de Gaulle s’agissant de l’Europe. Attention aussi aux commentateurs qui annoncent trop vite certaines implications quand il ne s’agit que parfois que d’intentions.
En matière de décision d’acquisition, et de la notion de souveraineté, dont les Nations devraient comprendre que leurs intérêts, certes avec concessions, sont d’autant plus protégés dans un ensemble plus grand et plus fort, il revient de se poser les questions, comme d’ailleurs largement en dehors de la défense, et pourquoi pas dans un Buy European act raisonné pour ne pas fermer les frontières, de savoir vers qui et quand acheter pour réaliser le coupe feu de protection ? Est-ce un problème de prix ? L’Europe a-t-elle les compétences ? Les industriels européens ou alliés, à savoir étasunien et même israélien suite à l’expérience éprouvée, sont ils capables de fournir rapidement sans forcément passer en économie de guerre réelle ? S’agit-il d’un choix géopolitique ? En cas d’achat étranger, avons-nous les clés ? Est-ce nécessaire d’acheter en commun et quelle interopérabilité est-elle nécessaire pour ce genre de matériel et de système ?
Avec la Grèce et la Turquie, ce sont désormais une vingtaine de pays intéressés dont seize de l’OTAN, activant sans doute l’article 2 économique avant l’article 5, et deux pays encore neutres, qui rejoignent le leadership allemand. Il ne s’agit pas encore de la Pologne qui revient peu à peu dans le jeu fédéral, limitant désormais ses critiques sur l’Allemagne, tout en entretenant un lien avec les solutions françaises. Elle se sait au centre des débats avec une position forte et protégée aux portes du conflit ukrainien. Elle est toutefois identifiée comme le nouvel effet de levier étasunien dans l’UE, depuis le départ du Royaume-Uni qui reste une force présente pour l’Europe. Elle achète enfin des systèmes étasuniens le lendemain de l’octroi de rattrapage des fonds structurels. Mais comme pour notre demande d’information pour les offsets autrefois, où le ministère nous avait répondu que nous risquions d’être poursuivis, peut-on finalement leur reprocher quelque chose ?
La France a bien entendu aussi le droit de s’émouvoir que les systèmes industriels envisagés ne soient pas spontanément ceux existants en Europe, d’autant plus que dans le cadre du programme ACCS officiellement lancé en novembre 1999, nous avons réussi à défendre une solution française grâce à une équipe d’Europe, finalement convergente en négociation finale au sein de l’OTAN avec une solution étasunienne sous la pression du carnet de chèque. L'Alliance est ainsi dotée d’un système unique et intégré de commandement et de contrôle aériens pour la gestion des opérations aériennes à l'intérieur et à l'extérieur de la zone euro-atlantique. Depuis lors, les systèmes C2 Air de l’OTAN ont continué d’évoluer et permettent à l’Alliance de faire face à n’importe quel défi ou n’importe quelle menace.
L’analyse des autres réalités montre notamment que la France travaille aussi avec Israël ou les Etats-Unis, que le pays n’est pas en première ligne sur le théâtre européen, mais qu’elle dispose de côtes bien aussi longues avec d’autres pays voisins d’où peut très bien aussi venir la menace. Elle doit donc prendre conscience de l’importance d’avoir un système de détection, d’alerte et d’intervention. La France dispose d’armes nucléaires pouvant répliquer aussi aux attaques conventionnelles comme aux missiles de croisière. Par ailleurs, si une boussole stratégique est née du travail des services de renseignement avant la deuxième phase de la guerre en Ukraine, il apparait bien que chaque pays regarde toujours vers sa géographie privilégiée. Enfin, en matière de financement, si EDIRPA peut être utilisé pour l’acquisition avec utilisation du fonds d’intervention, le Fonds Européen industriel et technologique de Défense (EDF), formidable outils de coopération pour les développements futurs, ne peut-être activé sauf erreur qu’au sein de l’UE, contrairement aux autres programmes et que la solidarité, surtout en matière de défense, chère au Général de Gaulle, est loin d’être acquise. N’oublions pas non plus qu’en 2021 a été lancé le programme Hypersonic DEFence géré par l’OCCAR dans le cadre du Fonds Européen de défense en, vue de la Protection contre les menaces aériennes à haute vitesse entre la Belgique, l’Allemagne, la Norvège, la Pologne et l’Espagne.
Aussi, en reprenant tous ces constats, il pourrait être intelligent de présenter la dynamique actuelle de la France avec les pays ibériques et l’Italie, qui reste à concrétiser, non pas comme une réponse épidermique et de meilleure solution de rechange, mais comme une complémentarité constructive, et sans doute spécifique, qui intéressera sans doute aussi les pays nordiques et quelques autres comme un élément d’un label mixte européen exportable. Le vecteur côtier pourra notamment renforcer la dynamique 5+5 entre pays Sud européens et Nord Africains.
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